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Le suicide d’un ouvrier de Foxconn

En 2010-2011, plusieurs dizaines de travailleurs de l’équipementier en informatique Foxconn ont tenté de se suicider, le plus souvent en sautant du haut d’immeubles de l’entreprise à Shenzhen. Des filets sont par la suite installés en haut des immeubles afin d’empêcher les travailleurs de mettre fin à leurs jours en se jetant dans le vide. Les ouvriers durent par la suite signer une « clause de non-suicide » précisant qu’ils acceptaient que les suicides soient pris en charge selon la règlementation en vigueur. En signant ce document, les travailleurs s’engagent « à ne pas demander de compensation plus élevée que celle prévue par la loi de telle manière que la réputation de la compagnie ne soit pas ternie et que ses activités puissent demeurer stables » (source : Jenny Chan, Mark Selden, Pun Ngai, Dying for an Iphone, Londres, Pluto Press, 2020).

« Petit frère » évoque le cas tragique d’un jeune homme de 18 ans qui s’est suicidé peu de temps après avoir commencé à travailler. Le texte est signé de Cao Jinghua 曹靖华, dans un volume de poèmes et de chansons intitulé Dignité : poèmes et chansons des travailleurs (尊严:劳动者的诗与歌) et publié en 2010 par le Centre de développement culturel de l’association Workers’ Home (工友之家), 2010. Les sacrifices consentis, les corps et âmes abimés, le sang et la sueur versés l’ont été en vain. Leur jeunesse à jamais disparue.


Texte interprété par un acteur.

Petit frère

Je sais,
Avant que tu ne quittes, tu étais déjà épuisé.
Le grondement de ces machines
Avait déjà asséché tout l’air que tu respirais.
Tes mains devenues comme mécaniques ne te permettaient plus de saisir des objets.
Peut-être que tu voulais te reposer,
Peut-être voulais-tu raconter ?
Peut-être voulais-tu crier ?
Mais sans attendre que de ta bouche ne sorte une seule parole,
Tu as glissé de tout en haut de cet immeuble.
Une vie de 18 ans s’en est allée comme ça.
Tu es parti en silence.
Petit frère,
Quand tu revenais le sourire aux lèvres…
Aujourd’hui, je ne veux plus m’en souvenir.
Pour permettre à nos parents de vivre une vie un peu meilleure,
Afin de gagner une vie digne,
Cette sueur, on ne peut la remplacer !
Ce sang, il n’a pas de prix !
Cette jeunesse ne reviendra pas !
Cette vie, perdue à jamais !
(…)
Mon petit frère, ton saut
N’arrêtera pas la machine de tourner.
Ton départ n’arrêtera pas la ligne de production.
La ligne de production,
La ligne de production,
A emporté ta jeunesse flétrie,
Nos rêves,
Pour aller dans la poche de qui ?
Tout ce sang frais, cette sueur, qui pourra la voir ?
(Mon petit frère pourra la voir, le peuple pourra la voir).
Qui doit payer, qui doit rembourser ?