FR | EN

Le vent du travail à l’extérieur a commencé à souffler

Cet extrait d’entretien réalisé en 2003 illustre la complexité des forces qui font que les gens décident ou pas de prendre la route, de quitter leur village et leurs proches pour trouver un emploi. Ici, plutôt que d’insister sur un type d’élément en particulier expliquant sa décision de quitter le village, ce travailleur évoque des facteurs de natures différentes : pauvreté à la campagne et sentiment d’impossibilité d’émancipation sur place par rapport aux nombreuses opportunités que peut offrir la ville ; volonté d’échapper aux moqueries suite à son échec scolaire ; et enfin corruption des autorités locales.  

On notera l’accent mis sur la pauvreté, mais aussi sur l’imaginaire migratoire construit autour de la consommation d’objets ramenés au village et qui sont souvent perçus par ceux qui n’ont pas eu la possibilité de partir comme autant de symboles d’une certaine réussite. La personne interviewée utilise littéralement le terme « répandre la province du Guangdong » (洒广) pour expliquer combien ce qu’il appelle le « vent du travail à l’extérieur (dagong feng 打工风) » soufflait sur son village.


Texte interprété par un acteur.

En ce qui concerne ce qui m’a poussé à quitter le village, ce qui m’a poussé à sortir travailler, ça s’est passé comme ceci. En 1982, dans mon école secondaire, le phénomène saguang 洒广était très en vogue. Saguang voulait dire aller dans la province de Guangdong travailler. A l’époque il y avait quelques élèves du secondaire inférieur et supérieur qui étaient sortis travailler dans le Guangdong. Donc, c’était là une raison : à l’école ce vent du dagong soufflait. Une autre raison était que les gens du bourg qui étaient allés allés travailler dans le Guangdong, m’ont également influencé. Dans mon village, personne n’était sorti travailler, mais bien dans d’autres villages pas très éloignés. Par exemple, à l’époque du Nouvel an il faut rendre visite à ses proches. Les gens qui étaient sortis travailler, ceux qui étaient de retour après avoir saguang 洒广, ceux qui travaillent [à l’extérieur] … chez nous, on les appelle « les patrons du Guangdong », guang laoban广老板. Ça signifiait que ceux qui étaient sortis travailler avaient gagné de l’argent, pas mal d’argent. Ils revenaient au village en portant de gros paquets. Dans ces sacs, soit c’était de l’argent, soit des vêtements. Des vêtements pas mal du tout ! A cette époque certains portaient encore des vêtements rapiécés tout troués. Tu sais des vêtements avec des pièces pour les trous. Donc ils ramenaient des vêtements, des télévisions, des enregistreurs… des objets qui valent de l’argent. Ceux qui visitaient leurs proches lors du Nouvel an disaient « Ah, le fils d’un tel est sorti travailler dans la province de Guangdong et a ramené ceci ou cela ». Tout cela nous a influencé. L’idée d’aller dans le Guangdong travailler a commencé à germer. Mais je n’avais pas encore pris ma décision. Mais quand j’ai pris cette décision, deux heures plus tard j’étais parti ! Les raisons qui ont fait que j’ai décidé de sortir travailler… Il y avait aussi le fait que je n’avais pas réussi à accéder à l’université. Ensuite, à la maison je ne supportais plus l’idée de devoir travailler dans la culture du tabac. Ca ne rapportait pas. Au début, ça rapportait encore un peu, mais par après ça ne payait plus. Je me suis dit « Allez, il vaut encore mieux sortir ! ».

A l’époque, je ne savais pas très bien ce que j’allais faire « à l’extérieur ». Allais-je entreprendre une affaire ? Une chose était claire : j’espérais fuir ce pays natal. Comme je te l’ai dit, depuis mes primaires jusqu’à la fin de mes études secondaires, j’avais toujours eu de très bons résultats. De très bons résultats… Après avoir échoué à l’examen pour l’université, les gens allaient raconter des choses dans ton dos ! « Eh, regarde cet enfant ! » Ce qu’ils voulaient dire, c’est que je j’avais de très bons résultats et je n’ai pas fait comme leurs enfants qui ont directement été travailler dans les champs. J’avais de très bons résultats, donc je devrais pouvoir « échapper à l’agriculture » (跳出农门). Et maintenant j’avais échoué. Les gens allaient sûrement trouver à redire… Les gens vont se moquer de toi ! Je suis aussi sorti pour fuir cette moquerie, mes résultats étaient vraiment trop faibles.

Je savais que des gens de ma région étaient partis pour la ville de Zhonghsan. Mais c’est une tellement grande ville, comment aurais-je fait pour les trouver ? Je ne les aurais pas trouvés. Mes parents avaient justement préparé 100 yuans pour que je représente l’examen d’accès à l’université. J’ai discrètement subtilisé cet argent qui avait été mis dans le fond d’une caisse. Ensuite je me suis rendu chez une de mes sœurs. C’était en 1993, elle venait de se marier et menait une vie relativement aisée. Elle habitait près d’un bourg à partir duquel on pouvait prendre un bus pour la ville du district. J’ai raconté à ma sœur que je devais aller en ville pour présenter mon examen une seconde fois et je lui ai demandé de me prêter 100 yuans. Je n’avais rien avec moi car elle aurait su que j’allais partir et ne m’aurait pas prêté cet argent. Elle m’a donné l’argent, 100 yuans. Avec les 100 yuans que j’avais pris chez-moi, j’avais donc tout juste 200 yuans. J’ai ensuite pris le bus pour la ville du district. De là j’ai pris un autre bus jusque Baihua dans le Hunan, une ville de niveau préfecture, ça m’a coûté 35 yuans. Ensuite, un train m’a emmené à Canton. Le train jusque Canton m’a coûté 45 yuans. Arrivé à Canton, j’avais encore une centaine de yuans en poche. J’ai vu une annonce pour un travail. En 1993, ces annonces étaient encore fiables. Maintenant elles sont fausses. C’est de la tromperie. En 1993, ce n’était pas le cas. C’était une annonce pour un travail un peu plus loin que Jiangmen (ville à proximité de Canton). Il s’agissait d’un travail dans une culture de litchis.

Je résume : à l’époque j’ai été influencé par ces collégiens revenus du Guangdong après avoir travaillé. En deuxième lieu il y a eu le fait que j’ai échoué à accéder à l’université ; je voulais échapper à ces moqueries des gens de mon village. Enfin, je dois t’avouer que je ne voulais pas travailler la terre. C’est pour cela que je suis parti travailler.