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Des écrivains mobilisés pour les mineurs : la revue Sâkuru mura

A partir de la seconde moitié des années 1950, la dénonciation des conditions de vie misérables dans le bassin minier du Chikuhô au nord de l’île de Kyushu, particulièrement touché par la crise du charbon et la politique de rationalisation, prend la forme d’un mouvement littéraire. La revue Sâkuru mura サークル村 (Le Village des cercles) est publiée entre septembre 1958 et octobre 1961 par un cercle littéraire. Produite par des intellectuels mais aussi de simples mineurs, elle défend la cause de ces derniers, grande cause sociale de l’époque pour les personnes opposée au pouvoir conservateur et néo-nationaliste de Kishi Nobusuke, premier ministre du 25 février 1957 au 12 juin 1958, puis du 12 juin 1958 au 19 juillet 1960. Cette revue est aussi un lieu de rencontre car elle est associée au Centre de documentation du Chikuhô, (Chikuhô bunkô shiryôshitsu, 筑豊文庫資料室), installé au cœur du bassin par ses promoteurs. Sâkuru mura n’est pas la seule revue littéraire créée à cette époque dans les mines, on trouve aussi d’autres revues comme Le Champ de bataille souterrain (Chika sensen) et Les Corons des mines (Tankô nagaya).

Le principal animateur de Sâkuru mura est Ueno Eishin qui y publie des reportages sur les conditions de vie et de travail dans une langue très littéraire chargée d’un certain pathos. Né en 1923, il subit le bombardement d’Hiroshima comme soldat à quatre kilomètres de l’épicentre de l’explosion de la bombe A. Cette expérience lui vaudra une splénomégalie chronique et la baisse de globules blancs pour le restant de sa vie. Marqué par son expérience, il abandonne rapidement l’université en 1947 et se met à travailler dans différentes petites mines du Chikuhô. Il est accompagné dans son aventure par le poête Tanigawa Gan et l’écrivaine Morisaki Kazue.

La revue Sâkuru mura est souvent illustrée par Senda Umeji (Illustration 1), lui aussi ancien mineur et gravant sur le bois et imprimant des estampes de scènes de la vie et de le travail à la mine. Ueno Eishin mobilise aussi des formes de spectacle qui sont traditionnellement utilisés dans les communautés minières la lanterne magique (ou théâtre d’ombre) et écrit des pièces spéciales à cet effet. Il mobilise aussi à partir de la fin des années 1950 des photographes tels que Domon Ken avec ses clichés des enfants du Chikuhô, pour atteindre la population la plus large possible. Un autre artiste mobilisé par les animateurs de Sâkuru mura est le mineur Yamamoto Sakubei qui commence à partir des années 1960 à peindre la vie et le travail des mineurs dans une perspective mémorielle alors que ce métier semble de plus en plus en déclin. Son œuvre est aujourd’hui inscrite au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO. Morisaki Kazue utilise l’une de ses illustrations pour la réédition de 1971 (illustration 2) son livre Makkuraまっくら (Une obscurité totale), paru initialement en 1961, où elle relate le témoignage de femmes mineurs. Celles-ci on en effet souvent continué à travailler après la guerre ans dans les plus petites mines, avec parfois des noms d’emprunt d’hommes, malgré la loi qui leur interdisait le travail de mineur de fond.

1
© collection de Bernard Thomann
Couverture d’Une obscurité totale de Morisaki Kazue (réédition de 1971) par Yamamoto Sakubei
2
© collection de Bernard Thomann
Couverture de la revue Sâkuru mura illustrée par Senda Umeji (numéro 1, septembre 1958 )