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François Scalzo, mineur italien en Belgique

François Scalzo (1926-2018) est originaire de Valguarnera en Sicile. À 10 ans, il quitte l’école pour devenir berger. En 1952, il vient en Belgique travailler dans la mine dans le cadre de l’accord conclu le 23 juin 1946 entre l’Italie et la Belgique, en vue de permettre à celle-ci de remplir ses objectifs de production dans le cadre de la Bataille du charbon, alors que les Belges refusent le travail au fond de la mine jugé trop dangereux. L’accord belgo-italien stipule que « pour tous les travailleurs italiens qui descendront dans les mines en Belgique, 200 kilos de charbon par jour et par homme seront livrés à l’Italie ». Il prévoit l’envoi de 50 000 ouvriers italiens . En 1956, à la suite de la catastrophe de Marcinelle (8 août) qui coûte la vie à 262 ouvriers mineurs de fond, dont une majorité d’Italiens, l’Italie cesse de pousser ses ressortissants à venir travailler dans les mines belges. La Belgique se tourne alors vers d’autres pays pour recruter les mineurs dont elle a besoin, notamment l’Espagne, la Turquie ou le Maroc .
François Scalzo a rendu compte des conditions de vie et de travail des mineurs italiens à travers l’écriture en signant deux romans autobiographiques, puis, dans les années 1960 à travers la peinture et surtout la sculpture, notamment en façonnant une multitude de figurines illustrant certains métiers ou situations caractéristiques de la mine dont le sauvetage lors d’accidents .
Le texte qui suit est extrait de François Scalzo, Le Train du Nord, Cuesmes, Éditions du Cerisier, 1997, pp. 106-120.

François Scalzo (1926-2018) was from Valguarnera in Sicily. When he was 10, he left school to become a shepherd. In 1952, he moved to Belgium to work as a miner under the agreement of 23 June 1946 between Italy and Belgium. In the context of the Battle for Coal, this agreement aimed to help Belgium meet its production targets, when Belgians were refusing to work in mines because they considered it too dangerous. The agreement between Belgium and Italy stipulated that “for all the Italian workers who go down into the mines in Belgium, 200 kilos of coal per day and per man will be delivered to Italy”. It provided for 50,000 Italian workers to be sent to Belgium . In 1956, following the Marcinelle mining disaster (8 August), in which 262 miners (the majority of whom were Italians) were killed, Italy stopped pushing its citizens to go to work in the Belgian mines. Consequently, Belgium turned to other countries to recruit the miners it needed, including Spain, Turkey and Morocco .
François Scalzo portrayed the living and working conditions of Italian miners in two autobiographical novels, then in the 1960s in paintings and sculptures. In particular, he made many figurines illustrating typical mining jobs or situations, including rescue following accidents .
The following text is taken from François Scalzo, Le Train du Nord, Cuesmes, Éditions du Cerisier, 1997, pp. 106-120.

L’Affiche rose·1

L’Affiche rose

Le 23 juin 1946, les gouvernements belge et italien signent un protocole d’accord prévoyant l’envoi de 50 000 travailleurs italiens vers les mines belges. Pour la Belgique, il s’agit d’une manière de remporter la Bataille du charbon lancée dès février 1945. Pour l’Italie vaincue, c’est un moyen de prouver au monde sa volonté d’arriver au relèvement économique de l’Europe et en même temps d’assurer sa fourniture en charbon dont elle a grandement besoin.

Afin d’attirer les candidats à l’exil, la Fédération charbonnière de Belgique (Fédéchar) placarde en 1946, un peu partout en Italie, l’Affiche rose qui vante les conditions « avantageuses » offertes aux mineurs de fond, à savoir salaires alléchants, une prime de recrutement, des allocations familiales et primes de naissance, les congés payés (équivalant au total à 34 jours payés par an), la gratuité des chemins de fer (pour le voyage Italie-Belgique et en Belgique pendant les congés du travailleur), etc. Par ailleurs, le travailleur italien bénéficie des mêmes lois sociales que les travailleurs belges. Les candidats sont invités à s’inscrire aux bureaux de recrutement provinciaux. Les côtés dangereux et insalubre du travail de mineur sont bien évidemment passés sous silence.

De 1946 à 1954, quelque 150 000 Italiens, pour la plupart chassés par le chômage et la misère qui règnent dans leur pays, viendront tenter leur chance dans ce qui leur est présenté comme l’Eldorado belge, donnant lieu à une immigration économique massive. Beaucoup ne trouveront au bout de leur voyage que désillusion et exploitation. La catastrophe de Marcinelle, dans laquelle périssent 262 mineurs dont 136 Italiens, met fin aux accords belgo-italiens. Privée de la main-d’œuvre italienne, la Fédéchar se tourne alors vers la Grèce et l’Espagne, puis au début des années 1960, vers la Turquie et les pays du Maghreb.

Les Aventures de Ahmed en Belgique·2

Les Aventures de Ahmed en Belgique

Cette bande dessinée de Georges Francaerds est publiée en 1984. Elle entend lutter contre le discours qui stigmatise les jeunes immigrés en les rendant responsables de la crise et du chômage. Elle retrace l’histoire d’Ahmed, jeune Marocain de la deuxième génération dont le père est venu travailler dans les mines belges à la fin des années 1950, soit après la fin de l’accord belgo-italien signé une décennie plus tôt en vue de fournir aux charbonnages la main-d’oeuvre qui leur faisait défaut.

Les trois premières planches de la bande dessinée témoignent de nombreuses similitudes avec le récit dressé par François Scalzo de son arrivée en Belgique. La première évoque comment la situation économique du Maroc et le chômage important qui y sévit poussent de jeunes Marocains à quitter leur pays pour venir travailler dans les mines belges de manière temporaire (nombre d’entre eux espérant revenir dans leurs pays après quelques années). La deuxième planche évoque les discours diffusés par la presse à propos de l’arrivée des jeunes migrants qualifiés de “vaillants jeunes hommes venus nous aider à extraire de nos terres wallonnes le noir minerai”. Les planches [doc 1] et surtout [doc 3] rappellent les efforts consentis par de nombreux travailleurs immigrés pour envoyer de l’argent à leur famille.

Sauvetage·3

Sauvetage

Au début des années 1980, François Scalzo découvre le travail de la terre glaise et réalise de très nombreuses figurines en terre cuite représentant sans fioritures divers métiers anciens. Au sein de cet ensemble, de nombreuses sculptures évoquent la mine, ses métiers et ses dangers, le sauvetage étant un thème récurrent.

Cet extrait permet d’appréhender les conditions du voyage dans des wagons vétustes et bondés, le déracinement ressenti et l’environnement morne dans lequel la nouvelle vie des exilés doit s’enraciner.
Sont également évoquées les lettres envoyées régulièrement à la famille restée au pays. François Scalzo arrive en Belgique muni d’un contrat qui spécifie l’obligation de travailler dans les mines de charbon pendant cinq années avant de pouvoir obtenir un permis de travail permettant de se réorienter vers un autre métier. Seul le médecin du charbonnage est à même d’autoriser qu’un travailleur malade/invalide quitte la mine avant ce délai.

This extract describes the travelling conditions in dilapidated and overcrowded carriages, the feeling of being uprooted, and the dismal environment in which migrants had to make their new lives. It also evokes the letters that the miners regularly sent to family in their home countries. François Scalzo arrived in Belgium armed with a contract stating the obligation to work in the coal mines for five years before he could obtain a work permit that would allow him to change career. Only the mine doctor could authorise a sick or disabled worker to leave the mine before this time.

Le voyage vers la Belgique The journey to Belgium

«Le convoi au départ de Milan traînait douze wagons de troisième classe, vestiges de la guerre, chargés de centaines, ou peut-être de milliers d’hommes, comme quand les militaires partaient au front. Les accompagnateurs nous avaient séparés suivant notre destination, wagons pour Liège, wagons pour la Campine, Charleroi et autres régions. Après qu’ils aient distribué les paniers de voyage et donné quelques consignes, ce chargement de vies humaines se mit en route. […]
Au milieu de tous les papiers qu’ils nous avaient donnés à Milan, il y avait aussi le contrat de travail qui stipulait l’obligation de travailler dans les mines de charbon pendant cinq années, après quoi on recevait un permis de travail A qui donnait accès à tout autre travail. Sauf condition de santé précaire, on ne pouvait pas abandonner la mine, le médecin de l’entreprise était seul arbitre. L’employeur était tenu de fournir une habitation décente; le salaire était le même que celui des habitants du pays, et suivait la fonction exercée. La sécurité sociale, droits égaux sans aucune discrimination, etc. […]
À Luxembourg, le panorama changea d’aspect. Tout était blanc, les arbres chargés de neige enthousiasmaient les romantiques alors qu’en moi ils suscitaient l’horreur, la neige pour moi était un triste souvenir d’un passé tourmenté. Dans cette vallée des Ardennes, j’eus une triste impression. L’arrivée à Liège ne fut pas meilleure, Liège aussi était pleine de neige et les fumées noires qui sortaient des cheminées des usines me firent une sinistre impression. Je regardais ces lieux qui n’étaient en rien attrayants. Le convoi passa la gare des Guillemins sans s’arrêter. L’arrêt se fit à Liège-Vivegnis. Nous avions reçu l’ordre de rester groupés jusqu’au moment où le tri serait fait. Quand nous sommes descendus du train, la gare était pleine d’hommes, de sacs et de valises. Puis sont arrivés des hommes avec des papiers en main qui criaient des noms et nous regroupaient suivant notre destination.
Après l’appel, nous nous sommes séparés. Avec mon beau-frère et les autres amis, ils me conduisirent dans un camion qu’ils utilisaient pour le transport du charbon et, après avoir chargé les valises, ils nous firent monter. […] Je regardai ces lieux qui me semblaient mornes; mon cœur aussi était triste à cette vue, mais que faire ? Désormais, laid ou beau, le lieu c’est moi qui l’avais choisi. Le camion s’arrêta rue Paquay, à la cantine de Luciano, et trois personnes y sont descendues. […]»

“The train from Milan had twelve third-class carriages, relics of the war, which were crammed with hundreds or perhaps thousands of men, like when soldiers left for the front. The attendants had separated us according to our destination: carriages for Liège, carriages for Kempenland, Charleroi and other regions. After they had distributed the packed meals and given us instructions, this load of human lives started its journey. […]
Amidst all the papers they had given us in Milan, there was also the work contract, which stipulated the obligation to work in the coal mines for five years, after which we would receive a work permit that allowed us to access other jobs. Unless we were in poor health, we couldn’t abandon the mine. This decision could only be made by the company doctor. The employer had to provide decent accommodation. We were to receive the same pay as citizens of the country, with wages depending on our role. Social security, equal rights without discrimination, etc. […]
In Luxembourg, the landscape changed. Everything was white, the trees were heavy with snow, delighting the romantics among us, but I found them horrifying. For me, snow was a sad memory of a tormented past. I found this valley in the Ardennes region dreary. Arriving in Liège was no better. It was also full of snow and I found the black smoke coming out of the factory chimneys sinister. I looked at these entirely unappealing places. The train went through Liège-Guillemins station without stopping. It stopped at Liège-Vivegnis. We had been ordered to stay in our groups until the sorting was complete. When we got off the train, the station was full of men, bags and suitcases. Then some men arrived with papers in their hands, calling out names and grouping us according to our destination.
After this, we separated off. With my brother-in-law and other friends, they took me to a lorry that they used to transport coal and, after our suitcases were loaded, we got in. […]
I looked at these dreary-seeming places. The view filled my heart with sadness, but what could I do? Ugly or beautiful, I had chosen this place. The lorry stopped on Rue Paquay at Luciano’s hostel, and three people got off there. […]

Soyez les bienvenus . Siate il benvenito...·4

Soyez les bienvenus . Siate il benvenito . Welkom

Publiée en 1957 par la Fédération charbonnière de Belgique, cette brochure, est destinée aux travailleurs des divers charbonnages belges et a pour objectif de fournir une série d’informations aux nouveaux arrivants sur leur pays d’adoption (principales villes, lieux d’excursion), les divers sites miniers, mais aussi ce qu’est un charbonnage ou l’importance du charbon. Cette brochure de propagande s’inscrit clairement dans la campagne de séduction opérée par l’État belge en vue de recruter la main-d’œuvre nécessaire pour extraire le charbon.

En témoigne le chapitre “Soyez fier d’être mineur !” dont est tiré le texte suivant : “L’exercice de la profession de mineur requiert un ensemble de qualités importantes : un corps sain et vigoureux, du courage, de la force et du sang-froid. Il y a donc lieu d’être fier d’être reconnu apte à la mine et admis à y travailler. La profession de mineur est une des plus honorables, car elle est une des plus utiles à la Communauté. Elle assure en effet la production de charbon, c’est-à-dire de l’énergie indispensable aux autres métiers, ainsi qu’aux besoins de la vie quotidienne. Le travail du mineur est ainsi le fondement de la vie économique et du progrès social du pays.” Le texte met ensuite en exergue les possibilités de carrière et d’avancement si l’ouvrier fait preuve de “régularité et de conscience au travail” et ne se laisse pas influencer par “les mécontents et les jaloux qui tentent de décourager le débutant et de dénigrer son métier.”

Une partie de la brochure est consacrée aux mesures de sécurité, ainsi qu’aux nombreux avantages octroyés aux mineurs (salaires, sécurité sociale, allocations familiales, intérêts à prix réduit pour acquérir un logement, etc.). Elle offre en outre une série de conseils sur les démarches concrètes à entreprendre (formalités administratives, renouvellement du permis de travail, renseignements pour faire venir sa famille en Belgique, conseils aux futures mamans, etc.). Une autre partie est consacrée aux droits et devoirs du travailleurs où est abordée la surveillance exercée au sein du charbonnage, le règlement d’atelier. On rappelle que dans toute entreprise “la discipline est nécessaire et qu’elle se traduit par des entraves à la liberté individuelle”, mais que ces dernières sont d’autant “plus rares et plus souples que les hommes prouvent par leur comportement qu’ils sont capables de se discipliner eux-mêmes”. Le message “Travaillons ensemble !” clôt la brochure.

Soyez les bienvenus.
Siate il benvenito. Welkom.
Welcome. Soyez les bienvenus.
Siate il benvenito. Welkom

Welcome © Coll. IHOES

Le logement Housing

« Dans la cantine, il y avait une centaine de personnes. On y vivait comme des militaires dans une confusion de personnes qui entraient, qui sortaient, qui faisaient du tapage. D’autres jouaient à la « morra ». D’autres, étendus sur les lits, essayaient de dormir car ils avaient travaillé la nuit, mais c’était en vain avec tout ce bruit. Une grande pièce servait de salle à manger. Là aussi c’était plein, et sur le côté il y avait une cour qui donnait accès à une autre pièce où de nombreux robinets servaient à laver les draps. Cette cantine était laide, tout me semblait morne. […] » In the hostel, there were around a hundred people. We lived like soldiers there, in a chaos of people coming in and out, making a racket. Others played morra. Others, lying on the beds, tried to sleep because they had worked the night, but they stood no chance with so much noise. A large room served as a dining room, which was also full. At the side, there was a yard leading to another room containing many taps to wash sheets. The hostel was ugly. Everything seemed bleak to me. […]

La description de la cantine met bien en évidence les conditions de logement médiocres offertes aux travailleurs italiens, et ce en contradiction avec la promesse du gouvernement belge de leur proposer des logements décents. Outre les cantines, comme celle évoquée dans le témoignage ci-dessous, de nombreux travailleurs italiens étaient logés dans des baraquements en bois ou en tôle qui avaient servis pendant la guerre au logement des prisonniers allemands   et où les conditions d’hygiène étaient vétustes (sol en terre charbonneuse damée, chauffage rudimentaire, absence d’eau courante, etc.).

The description of the hostel clearly demonstrates the poor living conditions offered to the Italian workers, which contradicted the Belgian government’s promise that they would be given decent accommodation. Aside from the hostels, such as the one described below, many Italian workers lived in wooden or sheet metal shacks, which had been used during the war to house German prisoners   and where the hygiene conditions were poor (they were cramped, with sooty earth floors, rudimentary heating, no running water, etc.).

Les baraquements·5

Les baraquements

Placardée dans toutes les régions d’Italie, l’Affiche rose offre la possibilité aux travailleurs qui le souhaitent de loger à la cantine du charbonnage où la pension complète est proposée à “prix modéré”. Des facilités sont prévues pour les travailleurs mariés qui souhaitent faire venir leur famille en Belgique pour s’y installer. Ces belles promesses se heurtent cependant souvent à la réalité. L’afflux de travailleurs italiens ne fait en effet que renforcer la crise du logement qui frappe la Belgique au lendemain de la guerre et le bien-être des nouveaux arrivés et de leur famille est loin de constituer la préoccupation majeure des charbonnages qui les accueillent. Les cantines s’avèrent bruyantes et invivables et il est souvent difficile, voire impossible, pour le travailleur de se trouver un autre logement car de nombreux propriétaires refusent de louer aux étrangers.

Nombre de travailleurs et leur famille sont logés dans d’anciens camps de prisonniers construits par l’occupant pendant la Seconde Guerre et réutilisés à la Libération pour abriter les prisonniers allemands réquisitionnés pour le travail dans les mines. Ces camps, composés de baraques en bois goudronné ou en tôles, étaient le plus souvent implantés à proximité immédiate des lieux d’extraction, dans des endroits peu salubres. Subdivisés en plusieurs logements par des cloisons intérieures, les baraquements accueillent plusieurs familles dans des conditions peu enviables (sol en terre charbonneuse damée, absence d’eau courante, poêle vétuste, etc.).

Les baraquements The shacks

© Coll. IHOES

Le salaire The salary

« Le salaire était au minimum pour les manœuvres, cent nonante-six francs par jour; en déduisant les taxes et la sécurité sociale, il ne restait pas beaucoup, mille francs la semaine. A la cantine, pour manger et dormir, nous payions trois cent quatre-vingts francs à la semaine. Et puis, il fallait de l’argent pour les timbres pour écrire à la famille, pour acheter un morceau de savon pour laver son linge. Rarement on pouvait économiser cinq cents francs. Une fois, j’avais besoin de chaussures, une autre fois de pantalons et d’autres vêtements, alors il ne restait rien à envoyer à la famille. Et pourtant nous devions faire des sacrifices, nous étions venus justement pour cela : épargner le plus possible et retourner au pays avec un beau pécule pour acheter une maison ou un lopin de terre, ou peut-être encore un fonds de commerce.

Wages were set at the minimum rate for operations, 196 francs per day. Once taxes and social security were deducted, this didn’t leave much: a thousand francs per week. At the hostel, we would pay 380 francs a week to eat and sleep. And then we needed money for stamps to write to our families, and to buy soap to wash our laundry. It was rare to be able to save 500 francs. One time, I needed shoes, another time I needed trousers and other clothes, so I had nothing left to send to my family. But we had to make sacrifices. That was precisely why we had come: to save as much as possible and go back to our country with a nice nest egg to buy a house or a plot of land, or perhaps even a business.

Pour ce principe, « gagner beaucoup d’argent en peu de temps », des personnes se faisaient mourir, ils se privaient de tout, même de la nourriture ou d’autres achats de peu d’importance, mais de stricte nécessité. […]

For this principle of “earning lots of money fast”, people would die, they would deprive themselves of everything, even food or other small but strictly necessary purchases. […]

Les Italiens ne voyaient que l'argent, ils travaillaient à la taille du charbon qui se comptait au mètre. Ils devaient faire plus de cinq mètres pour dépasser la normale et être payés plus. Ils se nourrissaient mal pour avoir un capital au plus vite. Ils n’achetaient que le strict nécessaire, ils se privaient de tout, c’est ainsi que beaucoup ont payé de leur vie cette imprudence. […]

The Italians saw only the money, they worked at the coalface and their work was measured by the metre. They had to exceed five metres to get above the norm and be paid more. They ate poorly in order to build up their savings faster. They bought only what was strictly necessary, depriving themselves of everything, and many of them paid for this with their lives. […]

La paie était toujours la même, aucune augmentation. J’étais considéré comme un ouvrier manuel et cela dura jusqu’à la fin du mois d’août. La nuit du 14 août, alors que nous avions commencé à travailler, nous entendîmes d’étranges bruits. Nous entendions s’effriter les poutres qui soutenaient la voûte et une pierre tombait de temps en temps. Giovanni au courant de ce qui pouvait arriver, nous cria de nous retirer dans la galerie pendant qu’il téléphonait en surface au maître ouvrier pour l’informer que la taille s’écroulait. Nous, nous attendions Giovanni, et quand il revint, il nous dit de rentrer dans la taille pour la sauver. C’était ce que lui avait répondu le maître ouvrier : de sauver la taille en faisant des piles. »

The pay was always the same, it never increased. I was considered a manual labourer and that continued until the end of August. On the night of 14 August, when we had begun working, we heard strange noises. We heard the beams that supported the roof crumbling, and occasionally, a stone fell. Giovanni, who knew what could happen, shouted to us to get out into the gallery, while he telephoned the foreman at the surface to tell him the coalface was collapsing. We waited for Giovanni, and when he came back, he told us to go back to the coalface to save it. That was what the foreman had told him: to save the coalface by making support chocks.

François Scalzo évoque très concrètement la question du salaire et des charges qu’il lui faut couvrir et qui l’empêchent de faire autant d’économie qu’il le souhaiterait pour envoyer de l’argent à sa famille. Il insiste sur le sacrifice que consentent nombre de ses compatriotes, prêts à se priver de tout et à mettre leur vie en danger pour envoyer de l’argent chez eux.

François Scalzo clearly evokes the matter of pay and the costs he had to cover, which stopped him saving as much as he wanted to send money to his family. He emphasizes the sacrifice that many of his compatriots were prepared to make, depriving themselves of everything and endangering their lives to send money back home.

L’accident The accident

« Tous ensemble, nous sommes rentrés dans la taille. Rapidement, nous passions les morceaux de bois et construisions les piles. Le bruit ne cessait pas, les craquements du bois s’entendaient de plus en plus et les billes qui soutenaient la voûte se brisaient comme on casse une barre de chocolat. Quand nous nous sommes rendus compte que la pierre aussi tombait, nous avons fui. Ce va-et-vient dura presque deux heures. Puis, à un certain moment, on aurait dit un tremblement de terre, le grondement du bois qui se brisait devenait toujours plus constant. Giovanni, d’un cri nous invita à fuir dans la galerie et tous, comme des rats, avons fui l'un derrière l’autre. Comme si tout fût prévu, le dernier homme à peine sorti, toute la taille s'effondra ensevelissant tout le matériel. Coïncidence ? Miracle ? Je ne sais pas ! Rescapés de justesse, pour quelques centimètres, pour une fraction de seconde, nous avons failli être écrasés par cette masse de pierre. Nous nous sommes regardés les uns et les autres le souffle coupé. »

Together, we all returned to the coalface. Working quickly, we passed the pieces of wood and made chocks. The noise continued. You could hear the wood cracking more and more and the logs that were supporting the roof were breaking like you would snap a bar of chocolate. When we realised that the stone was falling too, we ran. We were going back and forth like that for almost two hours. Then, at one point, it was like an earthquake. The rumble of breaking wood became increasingly relentless. Giovanni shouted for us to run into the gallery, and like rats, we all fled, one behind the other. As if it had all been planned, the last man had only just got out when the entire coalface collapsed, burying all the equipment. Luck? A miracle? I don’t know! We only just escaped, by a few centimetres, by a fraction of a second. We were almost crushed by this mass of stone. We looked at each other, breathless.

Le drame du Bois du Gazier·6

Le drame du Bois du Gazier

Avec ses 262 morts, la catastrophe qui se déroule le 8 août 1956 au charbonnage du Bois du Cazier à Marcinelle restera comme la catastrophe charbonnière la plus meurtrière qu’ait connu la Belgique. À la suite d’une méprise, un wagonnet plein de charbon est “encagé” (introduit dans la cage d’ascenseur) au niveau 975 de la mine. Cette opération s’accompagne normalement de l’éjection automatique d’un wagonnet vide de la cage. Malheureusement, le mécanisme est défectueux et les deux wagonnets restent calés, une partie dépassant de chaque côté de l’ascenseur. Lorsque la surface appelle l’ascenseur, les wagonnets heurtent violemment une poutrelle entraînant une fuite d’huile et une section des fils électriques. Un incendie se déclare rapidement et sa propagation est fulgurante en raison de l’aérage des puits. Les gaz toxiques sont propagés par les conduits d’aération à l’ensemble de la mine. Alertés, les médias viennent rapidement sur place et couvrent minute par minute l’événement. Sur les 275 ouvriers descendus dans la mine ce matin-là, 262 décèdent dans la catastrophe (dont un nombre important de travailleurs italiens).

Le rapport de l’enquête diligentée par l’Administration des Mines à propos de cette catastrophe ne retient aucune responsabilité. Une commission d’enquête parlementaire est réunie fin août 1956, sous la pression populaire, fort marquée par cette tragédie. Elle s’attarde exclusivement sur les questions techniques tout en éludant des questions fondamentales comme l’accroissement intense de la production ou la vétusté des installations. Lors de l’enquête judiciaire, les experts mettent en évidence une série de causes potentielles de la catastrophe (défauts en matière de signalisation, procédures mal organisées pour la remontée et la descente des cages, proximité de fils électriques et de conduites d’huile sous pression, etc.).

Le Parti communiste de Belgique réunit des fonds (notamment via la vente de la carte postale ci-contre, signée Didier Geluck, alias Diluck) afin de financer un ensemble d’avocats en vue d’assister les familles des victimes. Après une saga qui durera plus de 18 mois (acquittement des prévenus en première instance puis appel), le directeur divisionnaire du bassin de Charleroi-Namur est condamné à de la prison avec sursis et une amende de 2000 francs belges. Un deuxième pourvoi en cassation, mené par les parties civiles avec l’appui des communistes, entraîne le renvoi de l’affaire à la cour d’appel de Liège en 1962, mais les dirigeants de la mine souhaitant mettre fin aux poursuites judiciaires, décident de transiger et acceptent un règlement à l’amiable du conflit. Ils octroieront 3 000 francs belges par victime.

Le drame du Bois du Gazier The Bois du Cazier tragedy

© Coll. IHOES

Si l’accident de travail est ici évité (puisque toute l’équipe de travailleurs sort saine et sauve avant l’éboulement), l’extrait met très bien en évidence le côté dangereux du travail au fond de la mine et surtout, le peu de souci pour la sécurité au sein de la mine et la santé des travailleurs. L’injonction du maître ouvrier de sauver la taille coûte que coûte est symptomatique de l’attitude assez désinvolte avec laquelle la sécurité est prise en compte dans les charbonnages où seule compte la production. La catastrophe survenue au Many en 1953, le témoignage de Jean Van Lierde (Six mois dans l’enfer d’une mine belge) et la catastrophe de Marcinelle en 1956 démontreront que le charbonnage Colard est loin d’être une exception en la matière. Face à l’ampleur du phénomène des accidents de travail et pour ne pas donner du métier de mineur (en pénurie de main-d’œuvre) une image négative de métier à risques, des campagnes de sensibilisation à la sécurité au travail seront organisées par les charbonnages et les caisses d’assurance.

Although in this case, an industrial accident was avoided (because the whole team of workers got out safe and sound before the collapse), the extract clearly shows the dangerous side of working down mines and above all, the lack of concern for safety in the mine and for the workers’ health. The foreman’s order to save the coalface at any cost was symptomatic of the rather casual attitude to safety in the mines, where only production mattered. The disaster that happened at the Many coal mine in 1953, Jean Van Lierde’s account (Six mois dans l’enfer d’une mine belge, or “Six Months in the Hell of a Belgian Mine”) and the Marcinelle mining disaster in 1956 demonstrated that the Colard coal mine was far from an exception in this respect. Faced with the scale of the phenomenon of industrial accidents, and in order to avoid giving a negative and dangerous image to mining jobs (when there was a shortage of workers), coal mines and insurance funds organised awareness campaigns about safety at work.

Soyez prudent dans votre travail, pensez à...·7

Soyez prudent dans votre travail, pensez à votre famille

Afin d’enrayer les accidents du travail, des efforts de prévention sont mis en place par le patronat, les caisses d’assurances privées et les organisations syndicales. En témoigne cette affiche quadrilingue (français, néerlandais, allemand, italien). D’origine luxembourgeoise, et utilisée dans les charbonnages belges, cette affiche appelle les travailleurs des mines à la prudence en utilisant l’image d’une femme avec trois enfants en bas âge.

Soyez prudent dans votre
travail, pensez à votre famille
Be careful at work, think of your family

© Coll. IHOES

Le témoignage évoque très clairement le “culte” (dans les discours en tout cas) rendu aux mineurs dans le cadre de la « Bataille du Charbon ». Désireux d’attirer de la main-d’œuvre vers un métier pénible et dangereux, le gouvernement belge n’aura de cesse de « glorifier » la figure du mineur et d’assimiler ce dernier à un héros. Le statut spécifique accordé au mineur ne suffira cependant pas à attirer les ouvriers belges.

The account clearly evokes the “cult” (at least in discourse) surrounding miners in the context of the “Battle for Coal”. Wanting to attract workers to a difficult and dangerous job, the Belgian government constantly “glorified” miners, comparing them to heroes. However, the specific status given to miners was not enough to attract Belgian workers to the job.

Métier de Mineur. Métier d’Honneur !·8

Métier de Mineur. Métier d’Honneur !

Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, la Belgique se trouve dans une situation économique relativement favorable. Contrairement aux pays voisins, son tissu industriel n’a pas connu de dommages majeurs et elle profite de la rapide réouverture du port d’Anvers. Les entreprises belges peuvent dès lors répondre aux demandes des pays voisins prêts à payer au prix fort les biens d’équipement et de consommation indispensables à leur reconstruction. Pour ce faire, il lui faut cependant relancer sans tarder la production de charbon, seule source énergétique disponible facilement. Le gouvernement Achille Van Acker, du nom du premier ministre en charge de la question du charbon, lance la Bataille du charbon qui entend retrouver rapidement le niveau de production charbonnière d’avant-guerre. Cependant, depuis l’entre-deux-guerres, le métier de mineur ne trouve plus grâce aux yeux des travailleurs belges en raison de la pénibilité du travail et de son caractère dangereux. Afin de parvenir à ses fins, un statut du mineur est mis en place dès avril 1945 qui octroie des avantages visant à attirer des travailleurs vers ce métier en pénurie de main-d’œuvre : prime de recrutement, sécurité sociale spécifique, congés supplémentaires, revalorisation de pension, etc.

La Bataille du charbon ne se mène pas sur le seul plan matériel, mais également sur celui des idées. Elle s’accompagne d’un discours visant à exalter la figure du mineur. En le comparant à un « héros » qui accomplit un « métier d’honneur », il s’agit de persuader l’ouvrier mineur que son travail est apprécié à sa véritable valeur. De manière symbolique, des diplômes et insignes d’honneur sont d’ailleurs prévus.

Le gouvernement n’hésite cependant pas à recourir à la contrainte. Tous ceux qui depuis le 10 septembre 1944 ont été, à un moment quelconque, occupés dans un charbonnage, sont mobilisés. Par ailleurs, pour faire tourner les charbonnages, il n’hésite pas à recourir aux prisonniers allemands (en décembre 1945, ils étaient 46 000 occupés dans les mines), puis aux inciviques. Dans le même temps, des pourparlers sont menés avec le gouvernement italien; ils aboutissent le 23 juin 1946, au protocole d’accord minatori-carbone organisant l’envoi de travailleurs italiens vers la Belgique. En parallèle, des campagnes de sensibilisation aux accidents de travail sont menées qui visent à convaincre que ce problème majeur dans les charbonnages est pris à bras le corps.

Métier de Mineur. Métier d’Honneur ! A Miner’s Work is Honourable Work!

© Coll. IHOES

« Mille pensées passèrent dans nos cerveaux, et moi je me répétais cette phrase du maître ouvrier : il faut sauver la taille, sauver la taille, mais les vies humaines, personne n’en parlait ! On parle toujours de la production du charbon; charbon, charbon et toujours du charbon. Combien de berlines, de tonnes de charbon aujourd’hui ? Le culte dans les mines était la production. La sécurité, personne ne s’en préoccupait, elle était quasi inexistante. Et puis, mourir en mineur était comme mourir en héros, gagner la bataille du charbon de Van Acker était le seul culte du mineur. […]

A thousand thoughts went through our minds, and I kept repeating to myself what the foreman had said: we must save the coalface, save the coalface, but nobody mentioned human lives! People were always talking about coal production; coal, coal, always coal. How many carts, how many tonnes of coal today? In the mines, there was a cult of production. Nobody cared about safety, it was almost non-existent. And dying a miner was like dying a hero, winning Van Acker’s battle for coal was like a mining cult. […]

Maintenant, quand je pense aux ordres du maître ouvrier de sauver la taille sans se préoccuper de la vie de onze ou douze personnes, je suis vraiment encore en colère. Quand cet événement se produisit, nous n'y avions pas prêté attention. Nous étions jeunes et casse-cou, nous étions ambitieux et certaines choses à mettre en question, nous n’en faisions aucun cas. […] »

Now, when I think about the foreman’s orders to save the coalface, without any concern for the lives of 11 or 12 people, it still really makes me angry. When this event happened, we thought nothing of it. We were young and reckless, we were ambitious and we paid no attention to some questionable things. […]