FR | EN

Un an après m’être marié, il ne restait rien

Cet entretien a été réalisé en 2007, suite à de nombreuses rencontres avec ce travailleur et ses deux meilleurs amis. Ce récit offre une description puissante des forces structurelles qui poussent ou pas quelqu’un à prendre la route, à quitter sa famille et son village pour trouver un emploi. Cet entretien vaut également pour la puissance des descriptions de la vie au village, puissance de la matérialité de conditions de vie très dures à la campagne (pauvreté, dévalorisation de l’agriculture, maladie, coût de l’éducation, gouvernements locaux corrompus, etc.).

Dans ce récit l’accent est mis sur la pauvreté et sur l’impossibilité de gagner sa vie au village. Le texte est comme saturé par un vocabulaire de l’impossibilité de s’en sortir.

En 1986, je faisais ma dernière année d’études secondaires. Mon père a voulu que je rentre au village me marier. A l’époque, mon père avait près de soixante ans, ma mère la cinquantaine. Donc je suis rentré au village pour me marier. Pour le mariage, il y a des dépenses. Un an après m’être marié, à la fin de l’année… Il n’y avait plus rien à manger ! Il n’y avait plus rien ! Plus rien du tout ! On était complètement fauché !

Il n’y avait plus de céréales. Quand on se marie il faut dépenser de l’argent. Il faut inviter des gens au banquet de mariage. Donc une fois marié, je n’avais plus un sou. Sans argent, que peux-tu faire ? Tu ne peux tout de même pas laisser ta famille mourir de faim. Il fallait trouver une solution. J’ai demandé à des gens de me prêter de l’argent, mais je n’ai pas réussi. Finalement, j’ai emprunté 200 yuans à la banque. Mais trois ans plus tard je n’avais pas encore remboursé cet argent à la banque et nous étions toujours fauchés. Rien à faire ! Il fallait sortir travailler. A cette époque, il y avait déjà des gens qui avaient quitté le village pour travailler. Mais moi, je venais juste de me marier. Je n’avais donc pas trop envie de partir. Un an à peine après m’être marié, je n’avais pas envie de partir. Mais cette année-là, il n’y avait plus rien chez moi. Même du maïs… Il ne restait rien. Dans ces conditions, il fallait que je sorte. Il y avait pas mal de gens qui travaillaient dans la construction pas loin de mon village. A ce moment-là, c’était trois yuans par jour. J’ai fait ça pendant un moment. J’ai fait ça pendant un certain temps. (…) Une fois au village, il fallait sortir à nouveau. Tu ne pouvais pas rester à la maison ! Economiquement, ça n’avait pas d’intérêt. Regarde, maintenant je suis toujours à l’extérieur ! Rien à faire, chez moi c’est comme ça. On ne peut rien y changer. (…) 

Dans la province de Guizhou au moins on peut gagner plus de mille yuans en travaillant dans les mines. Ici, il n’y a même pas ça. Dans les années 1980, avec le système de responsabilité, ces paysans n’avaient pas d’éducation. Il n’y avait personne pour gérer. Ils ont coupé les arbres des montagnes. Tu coupes les tiens, je coupe les miens. Ils les ont coupés jusqu’au dernier ! Puis ça a été la grande sécheresse. Cela a été une sécheresse terrible. Il fallait aller chercher de l’eau à plusieurs kilomètres du village. Personne ne gérait [ça]. Cela a été un échec. A l’époque, pour survivre … Je suis sorti travailler pour neuf yuans par jour… d’abord durant environ deux mois et puis je suis rentré au village. Je te jure, si je n’étais pas sorti travailler. Si j’étais resté à travailler la terre, ça aurait été impossible. Je venais de me marier. On n’avait même pas d’argent pour manger, il fallait encore aller à la banque emprunter de l’argent. Aller à gauche à droite quémander chez des proches. Une personne ne peut subsister en dépendant des autres pour manger, n’est-ce pas ? Ca ne va pas ! C’est comme ça que je vivais et c’est pour ça que j’ai décidé de sortir. C’est comme ça que je suis sorti. Je suis sorti et ma famille n’y pouvait rien, elle aurait voulu me garder que ça n’aurait servi à rien. A quoi ça sert de rester chez soi ? Actuellement mes parents ont plus de septante ans et ils labourent encore la terre. Aujourd’hui ils labourent toujours. He ! Je leur ai dit « Que vous labouriez ou non, peu importe. Du moment que vous puissiez manger. Si vous en avez la force, vous labourez ces champs. Vous obtiendrez ce que vous aurez labouré ». C’est comme ça (…)