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On entre dans une grande famille !

Suzanne est entrée en 1951 dans l’usine Doré Doré. Le chef du personnel faisait le tour des écoles des villages alentour pour identifier avec les instituteurs les filles qui ne feraient pas d’études après le certificat d’études, et allait démarcher les familles. La scène exposée dans l’extrait d’entretien illustre l’attitude paternaliste du dirigeant de cette entreprise, qui a mis en place autour de l’usine une organisation de la vie sociale de ses salariés, à même d’encadrer l’ensemble de leur vie : logements des ouvriers et des cadres, commerces de proximité, cantine, pension pour les jeunes filles, activités sportives et de loisir, construction d’une église, mutuelle, caisse de prévoyance, transport pour acheminer les ouvriers des villages alentours. L’entretien a été réalisé par Odile Macchi au domicile de l’ouvrière le 20 mai 2018.


Texte interprété par un acteur.

« On commençait à travailler à l’usine à 14 ans. Au bout de trois mois, on était appelé au bureau de Monsieur le Directeur. On n’entrait pas dans une usine, on entrait dans une grande famille. Il était à son bureau, il nous prenait sur ses genoux en nous disant : ‘On entre dans une grande famille’. Quand on raconte ça, les gens nous disent : ‘Mais ce n’est pas possible !’.

Pourtant si, il faisait ça ! Mais pas dans le sens, je veux dire, comme maintenant on voit… non, c’était amical, on rentrait dans une grande famille. A chaque fois que je raconte ça maintenant, on me dit : « Mais c’est pas possible, ça peut pas être vrai ! ». Alors des fois je me dis : « Mais je l’ai vraiment vécu, ou quoi ? », pour qu’on puisse ne pas me croire. On rentrait dans une grande famille, c’était ça… Justement j’ai trouvé un livre, un jour, où ils racontent, où ils racontent comment les filles, quand elles rentraient – elles étaient souvent du Jura, il y en a beaucoup qui étaient du Jura – quand elles rentraient chez Doré Doré, elles étaient hébergées à la pension Ste-Marthe, qui appartenait aussi à l’entreprise. Et une dame raconte quand elle a accompagné sa fille pour rentrer, elle raconte le passage dans le bureau du patron… c’est bien vraiment ce que j’ai vécu ! »