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Le monde de l’extérieur doit être merveilleux

Ce travailleur, dans ses explications justifiant son choix d’avoir quitté son village, met en avant des éléments biographiques liés à son père qui, en tant qu’ouvrier du rail, avait l’occasion de voyager et de quitter le village à une époque (le début des années 1980) où la mobilité était encore fortement restreinte par le biais d’un certain nombre de mécanismes institutionnels comme le livret de résidence (hukou 户口). On voit donc ici comment se construit touche par touche un imaginaire migratoire, cette personne soulignant combien cette fenêtre sur le monde que représentait son père a joué un rôle dans son envie de découvrir « ce monde de l’extérieur ».


Texte interprété par un acteur.

Mon cousin avait fait l’université. Il travaillait dans une usine d’alcool et m’a emmené dans cette usine. C’est comme ça que j’ai quitté mon village natal. Mais quand j’étais encore au village, je désirais connaître le monde de l’extérieur. Les questions que je me posais à l’époque n’étaient pas les mêmes que celles des jeunes de mon âge. Je pensais toujours à ce monde [de l’extérieur]. A à peine sept ou huit ans, je courrais déjà vers l’extérieur ; j’allais dans la ville du district. Je n’avais pas d’argent, tu comprends ? Il y avait à peu près trente kilomètres entre le village et la ville du district, il fallait trois heures à pied. A cette époque, quand on arrivait à la ville du district, cette ville c’était comme si c’était un grand monde.  A cette époque, j’avais cette idée en tête : sortir, vivre, ne pas vivre dans cet endroit. Cet endroit, y vivre n’a pas d’intérêt.

Mon papa, son expérience… Il était ouvrier des chemins de fer. Il a vu le monde, j’écoutais ses histoires… Il y avait aussi la radio. A l’époque, dans les années 1980, notre famille était la seule dans le village à avoir une radio. C’était comme si on en savait un peu plus que les autres villageois. On savait que le monde de l’extérieur était merveilleux, qu’il était merveilleux ! L’homme poursuit une vie merveilleuse. Dans cet endroit, à la campagne, tu restes toute ta vie dans cette montagne à bosser. Chez nous ce n’est pas aussi plat qu’ici, chaque jour tu bosses dans la montagne. Quand tu dois acheter des engrais, tu vas au bourg, ce n’est qu’à ce moment que tu as l’occasion d’y aller…Mais tu n’y vas pas pour t’amuser ! Tu dois porter des choses sur ton dos et les ramener au village. Tu n’as pas le temps de t’amuser. Une vie comme celle-là n’a certainement aucun goût.

A l’origine, mon père était maître-charpentier. Quand il a eu seize ou dix-huit ans, il est allé travailler dans les chemins de fer. A cette époque, on développait les chemins de fer, Mao Zedong insistait beaucoup sur les chemins de fer. Il était ouvrier du chemin de fer. Il y a travaillé un certain temps et puis il est revenu, à la campagne. Ces gens [les ouvriers du chemin de fer] avaient une vie meilleure, ils étaient de l’Etat.  S’il était resté plus longtemps dans les chemins de fer, on aurait mené une vie meilleure, mais il est revenu. A l’époque il travaillait sur la ligne Xiang-Qin, Xiang c’est la province du Hunan, Qin c’est celle de Guizhou. Il travaillait dans une ville du District. Il a fait ce travail pendant deux ou trois ans.

Donc, depuis ce moment-là, j’avais cette idée en tête : sortir tenter sa chance. J’ai eu cette opportunité dans l’usine d’alcool. J’y suis allé en 1993, je devais avoir entre seize et dix-sept ans. C’était dans le district de Xishui, à plus de quatre cents kilomètres de mon village natal. C’était très loin, vraiment très loin. J’étais accompagné de mon cousin. C’est lui qui m’y a entraîné. Il est diplômé de l’Université de Guiyang, le chef-lieu de la province de Guizhou et avait été affecté à cette usine.  Il m’a emmené au moment de la Fête du Printemps.

Je suis devenu ouvrier dans cette usine. Je suis donc sorti en 1993. Pourquoi ? Mon cousin s’occupait de la publicité ; il était aussi responsable des ventes. Il est allé à Beijing pour s’occuper de la publicité. En 1993, cette usine d’alcool marchait très bien. Mais c’était surtout en 1992 que les affaires étaient les plus florissantes. En 1993, je devais avoir un salaire de l’ordre de six à sept cents yuans. A l’époque, c’était beaucoup d’argent, surtout dans mon village natal. C’était très confortable. En plus, on travaillait vingt jours et ensuite il fallait attendre que l’alcool fermente. C’était cyclique. Ce salaire n’était pas mal du tout. A partir de la seconde moitié de 1994, ça a commencé à se dégrader. L’usine ne pouvait plus payer les salaires. On était payé qu’une fois tous les trois mois et seulement pour 60% de notre salaire. Le reste, on te le donnait en actions. A cette époque, c’était la première fois que j’avais vu le terme dagong [sortir travailler]. C’était la première fois que je le voyais, dans cette usine d’alcool. Dans l’usine, j’avais l’occasion de regarder la télévision, les informations. Tu comprends ? A la campagne, je ne pouvais qu’écouter la radio

J’ai toujours aimé écouter les informations. Parfois, j’écoutais des chansons. Maintenant que je suis dans la province de Guangdong, je regarde aussi la télévision, les informations. J’essaye de comprendre un peu. Ça, c’est moi. A cette époque, l’usine, ça n’allait plus. Elle ne pouvait vraiment plus payer les salaires. Moi, je nourrissais plein d’illusions. J’étais encore jeune, je pouvais encore aller tenter ma chance.