Le dortoir de Daxiong
La classe ouvrière chinoise est depuis les années 2000 composée pour majorité de travailleurs migrants dont un grand nombre sont logés par leurs employeurs, à proximité ou même sur le lieu de travail. Ce dispositif, que les sociologues Pun Ngai et Chris Smith (2006) ont qualifié de régime de travail de dortoir (dormitory labour regime) renforce le contrôle exercé par le patron sur ses employés puisque, de facto, l’ouvrier est virtuellement sous le regard de son employeur durant son temps à la fois de travail et de non travail ; l’espace de la vie privée est réduit à quasiment néant. Les images les plus connues sont celles d’immeubles abritant des chambres partagées par des employés célibataires dans des entreprises comptant des centaines de salariés. Cette vidéo donne à voir un dispositif distinct. La ville de Huzhou (Jiangsu) abrite des centaines d’ateliers de fabrication de vêtements qui comptent quelques dizaines d’employés chacun. Ces derniers sont logés dans des logements sommairement aménagés par leurs employeurs. Le film tourné par un travailleur migrant montre son espace privé, une pièce de 7 mètres carrés où il habite avec sa femme, également ouvrière.
Ce couple de travailleurs migrants a de très longues journées de travail, de 8 heures le matin à souvent tard dans la nuit. L’espace privé est essentiellement le lieu du sommeil alors que les repas sont quasiment tous pris à l’extérieur. Dans son commentaire, Daxiong met deux points en exergue : l’exiguïté des lieux qui ne lui permet même pas de disposer d’un meuble où entreposer leurs vêtements et l’absence quasi-totale d’intimité puisqu’ils occupent en fait une demi-pièce coupée en deux par une cloison qui ne monte pas jusqu’au plafond.
Le texte qui suit est le verbatim du texte de commentaire de la video prononcé par l’auteur de la vidéo, Daxiong, et dont la transcription s’inscrit sur l’image.
La vidéo s’intitule « Le dortoir de l’usine de vêtements où travaillent M. et Mme Daxiong. C’est très simple, seulement 7 mètres carrés. Il y fait très chaud en hiver et frais en été. C’est réconfortant » (大熊夫妻服装厂里的宿舍,非常简陋才7平方米,但冬暖夏凉很欣慰).
Source : https://haokan.baidu.com/v?vid=15487953397770451581. Durée : 3’29
« Aujourd’hui j’amène tout le monde voir notre petit nid de 7 m², venez. Normalement c’est un peu le bazar, il n’y a pas trop d’espace de rangement. La largeur ne fait pas tout à fait 2 mètres ; elle fait la longueur du lit. La longueur fait en gros 3 mètres. La surface totale est d’à peu près 7 m². L’intérieur est très simple et nu. Il n’y a rien d’autre qu’un lit et une table de nuit. Au départ je pensais acheter un meuble pour les vêtements, mais l’espace restant est trop petit, donc j’ai fabriqué ça moi-même [il montre une patère]. Entre deux pièces, c’est ouvert [le mur ne monte pas jusqu’au plafond]. Les deux espaces partagent le même climatiseur. Si le mur montait jusqu’en haut, l’air froid ne passerait pas [d’une pièce à l’autre]. Du coup s’il y a un défaut, il est commun. L’intimité est assez limitée ; le résultat [de l’absence de mur] est que l’isolation sonore n’est pas terrible. Qu’à côté ils reniflent parlent ou téléphonent, on les entend on ne peut plus clairement. Peut-être parce que l’espace est trop petit, lorsque, les jours chauds, on allume la climatisation, il fait encore un peu chaud ; du coup j’ai moi-même acheté ce petit ventilateur [de plafond]. Il n’y a qu’une seule prise par appartement. En haut on ne peut mettre qu’une ampoule très petite. La prise n’est pas suffisante, j’ai moi-même apporté une prise multiple. Lorsque je me repose normalement, je m’assois sur le lit, et pas sur un tabouret. Mais je ne voulais pas que ça lâche, donc j’ai amené quelques briques et les ais mises en dessous, c’est plus sûr et solide comme ça, je ne l’abîmerai pas en m’asseyant. … Et une grande fenêtre. Peut-être parce que l’appartement est si petit, au moins en hiver il fait chaud et l’été il fait frais. Après tout, il y a un climatiseur. En réalité, comparé à ma maison [dans son village], le seul endroit qui y est aussi petit qu’ici, ce sont les toilettes. Mais il n’y a pas moyens [que je vive là-bas], parce que hors de mon village, il y a énormément de travail, et dans mon village, il y en a trop peu. Là-bas, ma femme et moi pourrions gagner seulement un peu plus de 300 yuans par jour, alors que, loin de mon village, nous pouvons gagner jusqu’à 500 ou 600 par jour. Donc, ce point est plutôt gratifiant, même si notre chambre est un peu plus petite… La vie est un peu dure.”
La ville de Huzhou est à 4 heures de route et 350 kilomètres du village natal de Daxing, à proximité de Anqing dans la province de l’Anhui.
Alors qu’à Huzhou, Daxiong et son épouse sont dépourvus d’espace et de tout confort, dans leur village, ils possèdent une grande maison qui possède la plupart des éléments du confort moderne (cuisine, salle de bains). La comparaison donne à voir la vie au travail en ville où l’on se prive de tout, et où les employeurs dépensent au minimum, et la vie au village qui est l’endroit où l’on investit pour vivre mieux.
La video s’intitule « La vieille maison d’un homme dans la campagne de la province de l’Anhui. 10 pièces avec cour avant et cour arrière, plus confortable que le logement en ville » (小伙安徽农村乡下的老房子,10间屋子带前后院,比城里舒服).
Source : https://haokan.baidu.com/v?vid=15487953397770451581. Durée : 6’57
« Aujourd’hui je montre à tout le monde ma maison dans mon village de l’Anhui. Voilà notre enclos à cochon, avant on en élevait, mais maintenant tout qu’il y a, c’est du bois de chauffe. C’est la grande porte de notre cour [on peut aussi voir la maison avec plusieurs ailes, qu’il va décrire] On est maintenant dans la cour, cette aile devant nous je l’ai construite moi-même il y a 5 ans. J’ai dépensé plus de 150 000 yuans ; il y a une grande salle et trois chambres. Ce bâtiment avec un étage est le mien et aussi celui de ma famille. On l’a construit quand je suis parti gagner de l’argent comme travailleur migrant. Là-bas c’est chez les voisins. Là, vous pouvez voir la cour, en gros ça fait plus de 200 m². En tout cas on peut y garer un bon nombre de petites voitures [déjà, il y a la sienne].
Allons voir les pièces que j’ai construites il y a 5 ans [entre dans un salon décoré, avec un poste de télévision] Sur la droite il y a un meuble pour l’alcool, ça c’est un salon. C’est très sobre. Ce salon est assez grand, de plus de 40m². Là au fond il y a un lavabo, et une machine à laver, puis la salle de bain, avec le ballon d’eau chaude et des toilettes. [Puis, il visite trois grandes chambres avec des lits deux places, dont une inoccupée qui sert de débarras, puis, revient dans le salon]. Maintenant, la maison à étage. Là, c’est un salon, ou la salle à manger ; de ce côté il y a la cuisine [avec sa mère qui cuisine], elle est un peu vielle, un peu datée. Cet objet que je pense que beaucoup n’ont jamais vu ça. Son extérieur est en bambou [Soulève le couvercle en bambou pour faire apparaître un panier en terre cuite] A l’intérieur c’est comme un four, et on peut y laisser chauffer des chaussettes s’il n’y a pas de soleil. [va dans une autre chambre avec un lit à deux places] Voilà la chambre de ma mère, ce n’est pas très rangé, ma fille regarde la télé. Quand, ordinairement, on est loin pour travailler, les deux enfants dorment ici ; regardez tous les dessins au mur.
Maintenant, à l’étage [monte l’escalier, arrive dans un salon en désordre] [s’ensuit une visite de l’étage, où il habitait avant son mariage, et qui sert maintenant de débarras. L’étage compte 2 chambres, un salon, une salle de bain, et un balcon, à partir duquel il fait voir les alentours, et attire notamment l’attention du spectateur sur l’ancienne grande porte de la cour, condamné car trop étroite pour les voitures]
Maintenant, je vais vous mener dans la cour arrière [On accède à la cour arrière par un couloir partant de la cour avant et construit entre sa maison et la maison des voisins. Ce couloir sert aussi d’espace de stockage, notamment pour les chaussures] Je ne sais pas ce que sont ces objets qui y ont été laissés. A la campagne, parce que les endroits sont grands, les gens laissent traîner les objets là où ils veulent. [arrivant dans la cour arrière, une petite cour au sol en terre battue] Voilà la cour arrière de la maison. Comme vous pouvez voir, il y a pas mal d’arbres fruitiers, et on élève aussi une dizaine de volailles. Voilà un pêcher, un prunier, et un pommier. [En montrant un coin de la cour] Voilà le poulailler, on y nourrit les volailles, et là regardez, il y a un osmanthe qui a plus de 20 ans, il est très grand. [plus tard] A l’extérieur, il y a encore ce petit potager de 100 m² ?
Vous avez vu ma grande maison à la campagne. Ce bâtiment à étages compte 6 pièces. A côté, il y a le bâtiment nouvellement construit qui compte 4 pièces, soit au total 10 pièces. Comparée à appartement en ville de 180 m², il n’y a qu’une dizaine de m² de différence. Je pense qu’un grand endroit est riament bien, c’est génial d’avoir de la place. Et vous, préférez-vous habiter un appartement en ville ou une maison à la campagne ? ».