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La grande enquête sur les foyers de mineurs du bassin de Chikuhô

La crise qui frappa les petites et moyennes mines suite à la fin de la guerre de Corée et se renforça avec le plan national de rationalisation en 1955, provoqua une véritable mobilisation de la société civile et de développement d’actions syndicales. En mars et avril 1955, alors que la situation des mineurs du Chikuhô commençait à être considérée comme dramatique, la direction régionale de Kyûshû du syndicat des travailleurs de mines de charbon du Japon (Nihon tankô rôdô kumiai Kyûshû chihô honbu) (Tanrô) et le Centre de recherche en sciences du travail de Kyûshû ( Kyûshû sangyô rôdô kagaku kenkyûjo), avec l’aide de professeurs et d’étudiants de l’Université du Kyûshû, menèrent, dans cinq districts du Chikuhô, une grande enquête sur les conditions de vie de 815 foyers touchés par le chômage au moment de l’enquête ou dans le proche passé. L’enquête était fondée sur des entretiens au domicile des mineurs et avec le chef de famille ou son épouse. Les enquêteurs passaient environ deux heures dans chaque domicile et visitaient environ 4 foyers par jours. Au cours de l’entretien, ils remplissaient un questionnaire de 5 pages. Leur lecture montre que l’enquêteur ne se contentait pas de remplir les cases prévues mais rajoutait beaucoup d’informations dans la marge et qui étaient sans doute le résultat du caractère très libre de la conduite de l’interview. Sur plusieurs fiches, dans la marge où au recto se trouvaient au crayon le calcul précis du budget de la famille. Il est vraisemblable que l’enquêteur avait effectué ce calcul sur place avec le foyer du mineur pour déterminer notamment l’indice d‘Engel dans le cas où le foyer ne tenait pas de livre de compte précis.

Les cinq pages de compte rendu d’entretien révèlent la situation suivante.

Tsuruta Jirô était né en 1922. Agé de 32 ans, il était originaire du département de Miyazaki. Son épouse Fujie avait 42 ans. Il avait une fille aînée de 18 ans du précédent mari de sa femme et une fille de treize ans qui vivait avec les parents de sa femme. Le niveau scolaire le plus élevé atteint était la 1ère année du collège. Il était arrivé dans le bassin minier du Chikuhô sans ses parents en 1939. Il avait travaillé à l’abattage depuis novembre 1953 à la mine de charbon Yoshida grâce à l’entremise de connaissances. Il avait un salaire mensuel de 12000 au moment où il a perdu son dernier emploi et l’avait pas reçu de pécule (taishokukin) en raison de l’absence de convention collective le prévoyant. Au moment de l’interview, il gagnait environ 440 yens par jour étant soumis au salaire à l’objectif (ukeoi kyû), sans salaire plancher (hoshôkin). En février il avait gagné 9000 yens ayant travaillé 19 jours et 12 heures en moyenne par jour. Il bénéficiait de l’assurance chômage, de l’assurance maladie, de l’assurance accident du travail, de l’assurance kôsei nenkin.  Il souhaitait changer d’emploi et déclarait être en bonne santé.

Sa femme et sa belle fille travaillaient et avait gagné 1000 yens. Ajouté aux 9000 yens du chef de famille, le revenu du foyer était de 10000 yens. Il n’avait pas pris tous les repas en février et n’a pas acheté de riz de contrebande. Le foyer avait consommé 23 kilos de riz au cours du mois de février. Les dépenses pour février avaient été de 12000 yens avec une proportion consacrée en nourriture et boisson de 80%. Il avait contracté un emprunt pour compenser le déficit. Le montant des dettes était de 16 000 yens. Il devait de l’argent à son entreprise et à des connaissances. Il avait déjà utilisé un mont de piété et le dernier objet ayant été emmené était le kimono et le obi de sa fille, en février 1955. Il déclarait avoir consommé, la veille de l’interview, le matin 5 tasses de riz et 7 tasses de blé. A midi, une soupe de nouilles (udon), accompagnée de légumes vinaigrés (tsukemono), le soir à nouveau une soupe de udon, accompagnée de légumes, et une soupe de poisson avec des pousses de soja. Il vivait dans un logement d’entreprise gratuit, une nagaya (un long bâtiment en bois sans étage, composé de pièces d’habitation) constituée d’une pièce de 4,5 tatamis. Il y avait un lavabo, et des placards (oshiire). Deux des tatamis étaient troués. Il y avait des portes coulissantes en très mauvais état, mais pas de fuite du toit. Il possédait deux lampes, deux shikibuton (matelas), 6 kake butons (couettes), un petit meuble à thé, pas de radio, pas de machine à coudre, mais une horloge. Il ne possédait pas de parapluie, mais trois paires de bottes. Il ne prenait pas le journal et n’a pas été au cinéma depuis 3 mois. Il allait au bain public tous les jours. Le charbon pour le chauffage n’était pas acheté, mais pris dans la mine. L’eau était courante, mais à l’extérieur de la maison (à 10 mètres) Il est soumis à la taxe d’habitation (300 yens).

Fiche de compte rendu d’enquête
© Archives Université du Kyushu