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Etudier était une façon de transformer son destin

Dans cet entretien, Xiaoyin, une jeune femme originaire du Guangxi, une province pauvre et montagneuse du sud-ouest de la Chine, décrit le contexte dans lequel elle a évolué jusqu’à son départ pour Pékin afin de poursuivre des études supérieures. Elle met notamment l’accent sur les hiérarchies de genre et les discriminations dont elle a fait l’objet en tant que fille. Dans les campagnes chinoises, comme dans les sociétés agraires en général, les jeunes filles se voient systématiquement discriminées au profit des garçons, notamment du fait qu’une jeune femme quittera le foyer familial afin de rejoindre celui de son mari lors de son mariage. La politique de limitation des naissances entamée à partir du début des années 1970 a encore renforcé le poids du système patriarcal à la campagne. Xiaoyin insiste également sur l’importance accordée par ses parents à la poursuite des études des enfants au sein de sa famille. Durant la période maoïste déjà, la possibilité éventuelle de poursuivre des études supérieures était considérée comme un des rares canaux de mobilité sociale permettant de quitter les campagnes et d’accéder à ce qu’on appelait à l’époque « le bol de riz en fer » (铁饭碗), à savoir l’accès à un éventail de biens publics (salaire, sécurité sociale, etc.) réservés à la population urbaine.


Texte interprété par un acteur.

Je suis originaire de la province du Guangxi, une région de minorité Zhuang. Une ancienne zone révolutionnaire, c’était la région où Deng Xiaoping a mené une révolte paysanne. Ce n’est pas très éloigné du Vietnam, du Yunnan et du Guizhou. On parle le dialecte Zhuang, c’est assez éloigné du chinois mandarin. Il y a des similitudes avec le thaïlandais au niveau de la prononciation. On comprend parfois ce qu’ils disent.

Chez nous… Par où commencer ? Par le paysage ? Dans ma région, c’est très beau. Il y a le fleuve Gurong, nous sommes approximativement au milieu du cours du fleuve. Dans notre village, en général, les gens aspirent à devenir officiel ou enseignant, il n’y a pas tellement de différences de richesses… Donc, on avait une motivation forte à étudier car on savait que si on ne réussissait pas à l’école, on devrait faire un travail manuel dans les champs comme nos parents. J’aimais étudier, il n’y avait pas de livres dans le village. Mais la pression était forte sur nous, surtout à partir du lycée. Mes parents avaient confiance en moi. En ce qui me concernait, je n’avais pas vraiment d’ambition particulière, mais je savais que si je réussissais bien à l’école et que j’accédais à l’université, mes parents seraient satisfaits. Moi, j’aurais certainement un sentiment de satisfaction personnelle. Puis, on pensait qu’étudier et réussir dans ses études représentait une façon de transformer son destin (改变自己的命运的某一种方式). Il y avait donc à partir de ce moment-là, une sorte de pression pour réussir. Je ne me débrouillais pas mal du tout, mais cette pression a fait que je n’ai pas très bien réussi. Mais finalement, j’ai quand même réussi à entrer à l’université et mes parents furent très heureux de cela.

Mon père était instituteur, il travaillait dans une école primaire assez éloignée de la mienne et ne revenait que le weekend. A l’époque, il avait un vélo. Il était très bon à vélo ! [rires] et revenait surtout les weekends. Quand j’étais en 3e ou 4e année d’école primaire, mon père a perdu son emploi d’instituteur pour non-respect de la planification des naissances [il voulait un fils, après avoir déjà eu deux filles]. Il s’est alors lancé dans un commerce informel de charbon, il ne fallait pas de certification à l’époque, ce n’était pas très règlementé. Ça ne payait pas bien, le prix du charbon était assez bas et ce travail était assez dangereux car il devait suivre les camions dans la montagne sur des routes fort escarpées avec son petit camion. Je l’accompagnais parfois dans son camion et je ressentais que c’était un travail très pénible. Depuis la grande famine du Grand Bond en avant (1960), il a toujours eu une santé fragile, un estomac fragile. Il est né en 1957, tout petit il a été nourri avec du manioc destiné aux porcs et sa santé en a été affectée. Il a toujours été très maigre et je le voyais faire ce travail dans le charbon, je voyais combien c’était pénible. Ça me peinait.

Ensuite, je me suis demandé comment je pouvais peut-être améliorer cela. Il ne gagnait pas très bien sa vie et en plus, ni lui ni ma mère n’avait de lopin de terre, juste un peu moins de 400 mètres carrés qui appartenaient à mon grand-père. Ensuite mes parents ont réussi à emprunter environ 40 000 RMB, ce qui en 1997 était une très grosse somme d’argent, car le niveau des revenus était vraiment très bas. Ma sœur aînée, par exemple gagnait à peine 200 RMB par mois en faisant de nombreuses heures supplémentaires dans une usine de bourg. C’était un emprunt à conditions particulières pour les foyers en situation de pauvreté. Mes parents nous parlaient ouvertement de notre situation économique. 40 000RMB, c’était donc vraiment une somme d’argent énorme. Mon grand-père était d’ailleurs particulièrement inquiet de cet emprunt. Mon père a ouvert un petit magasin avec la moitié de la somme et avec les 20 000 RMB restants, ils ont fait rénover leur maison. Mon père vendait de la quincaillerie, des casseroles, toute sortes de choses d’usage quotidien. Ma mère cousait des vêtements. Elle devait courir jusque Nanning, notre capitale provinciale pour vendre ses vêtements. Les routes étaient très mauvaises, avec beaucoup de bosses sur la route et des zigzags, j’adorais ça quand j’étais petite [rires]. Par exemple, pour aller dans une ville de district, il fallait trois heures de route. Ensuite, de là, il fallait encore une soirée entière pour arriver à Nanning. Sur le chemin du retour, elle achetait du maïs et le revendait dans la ville du district, pour gagner un peu d’argent. C’était très dur en fait comme vie [rires]. Elle rentrait toujours très tard dans la nuit.

Un jour, ma mère m’expliqua quelque chose qui la mettait très fort en colère envers mon grand-père. Mon grand-père, tu sais, il négligeait les filles au profit des garçons (重男轻女). Quand mon père était encore instituteur, il n’y avait pas encore de fils dans la famille. A l’époque, ma mère travaillait aussi dans de petites mines de manganèse. Les équipements dans ces mines n’étaient pas bons, les routes étaient très mauvaises. Quand ma mère rentrait le soir, il faisait nuit. Un jour, elle revient de la mine et voit que je suis occupée à lire dans le noir. Elle me demande : « Pourquoi n’allumes-tu pas la lumière ? » En fait, j’étais trop petite et je n’arrivais pas à tirer sur le fil qui permettait d’allumer la lampe. Mon grand-père paternel vivait avec nous, alors que notre grand-mère paternelle vivait avec le frère aîné de mon père, ils avaient quatre enfants, dont deux jumeaux ! [rires]. Ma mère était très fâchée car mon grand-père était allé manger chez son fils aîné et nous avait laissées seules sans se soucier de nous donner à manger. Et il y avait du tofu que ma mère avait acheté et qui était toujours là dans de l’eau pour le conserver à bonne température. Ce tofu était toujours là tard le soir quand ma maman était revenue et nous étions restées seules dans le noir ! Ma mère était furieuse ! En fait, l’attitude de mon grand-père, cela l’attristait [rires]. Il n’y avait que moi et ma sœur à l’époque, pas encore de petit frère. Ma mère était furieuse et triste. Mon père, je peux comprendre qu’il ait voulu un fils, il a même perdu son travail d’instituteur pour cela. Il avait quitté notre village à cause de la politique de contrôle des naissances quand ma maman était enceinte pour la troisième fois et n’est revenu qu’une fois qu’on a su que c’était un garçon. Donc, quand j’étais petite, je ressentais assez difficilement le fait qu’on favorise mon petit frère à mon détriment, je le reprochais à mes parents, y compris à ma mère.

Mon père, il avait ce travail d’instituteur, on peut considérer que c’était un « bol de riz en fer » (算是个铁饭碗). Ca permettait de ne pas vivre une vie si pénible (可以不那么吃苦), puis il y aurait aussi une retraite. C’était quelque chose de très bénéfique pour notre famille. En fait, une fois que j’ai grandi, je me suis rendu compte que ces décisions, ces choix étaient le fruit d’un environnement spécifique. Y compris mon envie très forte de pouvoir accéder à l’université. D’une certaine manière, c’était la société qui me disait « il n’y a que cette voie à suivre pour changer ta vie ». Sur ce plan, je trouve que ma mère était vraiment très forte. Car chez nous, là-bas, ce n’est pas que les parents voulaient à tout prix que leurs enfants fassent des études. Bien sûr, si quelqu’un pouvait devenir un cadre officiel ou un enseignant, c’était très bien. Mais si un enfant n’était pas très doué, on insistait pas plus que cela, et puis il y avait tellement de tâches agricoles. Pour nous les filles, on disait « Oh, une fille, si elle ne continue pas à étudier, tant pis, elle sortira travailler et se mariera de toute façon ». Mais ma mère, je lui suis très reconnaissante. Bien qu’elle favorisait mon frère et les garçons en général au détriment des filles, il n’empêche qu’elle ne nous a pas découragées ma sœur et moi de poursuivre des études. Elle ne nous a pas dévalorisées, ni méprisées (不会觉得我和我姐姐是很低廉的,不会一点也不尊贵的). Elle voulait un fils, c’est vrai. Mais elle nous a toujours beaucoup aimées ma sœur et moi (她一直疼爱着我们). Elle m’a encouragée à étudier. Cela tombait bien, j’aimais étudier. Quand j’ai fait des études, ma mère était tellement contente, mon père était très heureux aussi. Mon père, étant donné qu’il était enseignant, il accordait de l’importance au savoir, il m’a soutenue aussi. Il avait une petite armoire à livres et à l’époque, on n’avait presque pas de livres et nulle part où en acheter. Cette bibliothèque, bien qu’elle n’était pas grande. J’adorais les livres ! C’était probablement la seule bibliothèque de tout le village ! [rires]. Donc, j’ai été beaucoup encouragée afin de poursuivre des études. Mes grande sœur par contre, elle était un peu lente sur le plan intellectuel, probablement à cause d’une piqure de médicament reçue quand elle était jeune. Malgré cela, ma mère lui disait « Tu dois étudier ». Au lycée, quand elle a échoué à l’examen d’entrée à l’université, elle a tenté le coup à nouveau et finalement elle a été admise dans une école supérieure de la région. Ensuite, elle a commencé comme enseignante et finalement elle a réussi à trouver un travail comme employée dans une administration locale. Finalement, il n’y a que moi qui ai emprunté une voie différente ! Je ne suis pas devenue employée, et je n’ai pas emprunté la voie à laquelle mes parents aspiraient [rires].