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Dormir sous les ponts !

Ce passage illustre l’instabilité et la précarité des périodes de recherche d’emploi. Dans cet extrait, la personne met l’accent sur la pression financière, la nécessité impérieuse de se nourrir et de se loger. L’univers hors les murs de l’usine est dans l’ensemble décrit dans les travaux sociologiques ou anthropologiques consacrés à la société post-maoïste comme étant insécurisant et générant une forte vulnérabilité dans l’espace public. Ce sont les supports matériels de base qui sont l’objet ici d’une lutte à l’issue incertaine. La personne explique toute l’importance de la capacité à nouer des liens de solidarité entre travailleurs, souvent originaires du même village, ceci dans la quête d’un emploi, d’un logement ou tout simplement d’eau potable et de nourriture. Il explique également comment il a pu échapper aux contrôles policiers en ville, dans une stratégie d’évitement des agents de ce contrôle social. L’espace public insécurisant vient d’une certaine manière renforcer des processus de précarisation à l’oeuvre au sein d’espaces de production disciplinaires avec des rythmes de travail extrêmement soutenus. Jusque vers 2010 environ, tout travailleur décidant de quitter son usine, outre les difficultés à se loger, se trouvait souvent rapidement exposé au risque de se faire contrôler par les agents de la sécurité urbaine.


Texte interprété par un acteur.

Ce qu’on craint le plus quand on cherche du travail, c’est justement de ne pas en trouver. On n’a pas grand-chose comme argent sur soi. On est foutu ! (. Avec deux cents yuan sur moi, si je ne trouve pas de boulot, je suis foutu (身无分文). On a même plus un fen sur soi, on va mourir de faim dans la rue (身上一分钱也没有了要饿死在大街上). Ici, même pour boire de l’eau il faut payer, on ne peut pas boire l’eau du robinet, pas comme l’eau de la montagne chez nous. Cet endroit est très sale, on ne peut pas boire l’eau. Pour boire, il faut payer, pour uriner payer aussi. Pour aller à la toilette, ici il faut payer : cinq mao, trois mao, deux mao… En fait, on s’inquiète parce qu’on n’a pas grand-chose comme argent sur soi.

Par rapport à pas mal de gens j’ai encore de la chance, je n’ai pas dû dormir dehors. Pourquoi ? Parce que je connais assez bien de gens. Je sais assez bien parler. J’ai fait la connaissance de quelques amis, j’en ai quelques-uns. On se fait confiance, je ne pourrai être un danger pour lui. Je le connais, s’il travaille sur un chantier, je peux dormir avec lui. Je ne peux pas dormir dans la rue. Au cours de ces deux mois, j’ai connu cet ami du Sichuan. Il travaille dans le bâtiment. J’ai fait connaissance avec lui, je suis allé habiter avec lui. C’est parce que je le connaissais que je suis allé loger avec lui. Je n’ai pas dû dormir dehors. Dormir sous les ponts !!! N’avoir rien du tout. Devoir dormir en-dessous des ponts. Je ne l’ai pas fait. Beaucoup de gens ont dû le faire. Dormir dans la rue !

Durant ces deux mois, je n’ai pas été contrôlé par la police. Parce que quand je sais qu’ils font des contrôles, je les évite. Si je sais qu’ils vont venir, je m’enfuis, je les évite. Quand ils viennent faire des contrôles, je ne suis pas là ! Je cours très vite ! [rires].

Chaque matin, j’allais à la porte d’entrée des usines. Si ça ne marchait pas avec cette usine, j’allais voir ailleurs. Le midi, j’allais voir des gens de ma région : « Est-ce que tu peux m’aider ? Si tu entends qu’on a besoin de quelqu’un dans ton usine, tu m’appelles, d’accord ? Tu sais que je n’ai pas de travail ». En général, ils viennent m’appeler. Certains ne t’appelle pas car ils craignent d’avoir des ennuis. Avec le temps, tu sais qui peut t’aider et qui a peur d’avoir des ennuis. Je sais… Mais, les boulots que j’ai trouvés, c’est toujours moi qui les ai trouvés, mes amis ne m’ont pas introduit. Je les ai trouvés seul : « Eh, demain tu y vas. Il y a une usine là-bas, j’ai entendu dire qu’ils cherchaient des travailleurs. Vas voir demain ». Le lendemain, j’y suis allé et j’ai réussi. J’ai commencé à travailler.

J’ai dû emprunter de l’argent à des gens de ma région. Une fois que j’avais trouvé du travail, je le rendais. Quand on cherche du travail, on gaspille beaucoup d’argent. On n’a pas de ressources. On n’a pas d’argent. Il y en a qui ne trouvant pas de travail sont obligés de rentrer chez eux. Ils n’avaient plus rien à manger, on leur donne un petit quelque chose et ils rentrent chez eux : « Il n’y a rien à faire. Rentre à la maison. Tu sortiras à nouveau plus tard. Maintenant, il est tellement difficile de trouver du travail, qui voudrait de toi ? Il vaut mieux que tu rentres ».

Tout d’abord, quand on entre dans l’usine, il faut remplir un formulaire pour le patron. Remplir un formulaire pour se présenter, pour présenter son expérience. C’est ça. Il y aussi le contrat. Dans de nombreuses usines où j’ai travaillé, ils ne te proposent pas de signer de contrat. Dans beaucoup d’usines, on te fait signer un règlement de l’usine. Un règlement de l’usine, pas de contrat. Ce n’est pas comme maintenant dans l’usine où je travaille. On te donne un contrat, tu le lis, s’il te convient tu bosses. A Dongguan, on te dit d’entrer, de voir comment ça marche et de remplir le formulaire. Sur le formulaire, tu indiques ton âge, d’où tu viens, etc. On fixe quel est ton travail. Tu as une sorte de permis de travail de l’usine et c’est tout.

En général, les documents comme la carte d’identité, c’est l’usine qui s’en occupe avec le reste. Mais ils te le font payer en prenant sur ton salaire. Ils s’en occupent, mais ils prennent sur ton salaire. Ils retirent une partie de ton salaire. A l’époque de l’usine de meubles, ils prenaient quatre-vingt yuan pour un an. Maintenant, c’est plus de cent vingt yuan pour six mois.

Source : extrait d’un entretien réalisé par Eric Florence avec un travailleur migrant en juillet 2006 à Foshan, province du Guangdong.

© Eric Florence
Travailleurs journaliers dans une rue de Foshan, été 2006