Le corps, les jambes, on en était remplies d’huile !
La Fabrique nationale d’armes de guerre, communément appelée FN, à Herstal, dans la banlieue industrielle de Liège en Belgique, compte dans les années 1960 environ 12 000 travailleurs, dont 3000 ouvrières. Les grands halls industriels sont remplis de machines au fonctionnement bruyant et salissant, notamment du fait de l’huile de coupe nécessaire à la production. Des ouvrières travaillent à la cartoucherie et à la division moteur, mais plus de deux-tiers d’entre elles sont employées à l’armurerie proprement dite, principalement dans le grand hall (le principal atelier mécanique de l’usine) et le petit hall et aux ateliers Mauser, mais aussi au montage et dans les services généraux. Ces femmes-machines occupent une grande variété de postes comme les ouvrières de machines, les réviseuses ou les limeuses. Elles travaillent à la pièce, évoluant souvent sur plusieurs machines-outils pendant la journée de travail.
Une centaine d’ouvrières seulement occupent des fonctions mixtes (gravure et polissage), donc occupées par des hommes et des femmes, pour lequel le salaire est identique. Dans les autres fonctions, le salaire féminin des « femmes-machines », comme elles sont surnommées, est assimilé à celui de manœuvre spécialisé et toujours inférieur à celui des ouvriers, y compris à celui des jeunes (les « gamins-machines »). En outre, ces derniers ont la possibilité d’évoluer dans les carrières de l’entreprise grâce à des formations en interne, contrairement à la plupart des ouvrières, exclues de cette opportunité car elles n’ont pas fréquenté l’enseignement technique ou professionnel préalablement.
Dans les années 1960, la FN accuse un important retard dans la modernisation de ses équipements, dont beaucoup datent d’avant-guerre. Les conditions de travail semblent être d’un autre temps. Néanmoins, cette situation évoluera à partir de la fin des années 1960 et du début des années 1970 : les machines étant progressivement remplacées par des équipements plus modernes, moins salissants, moins bruyants et moins dangereux.
Après la grève des femmes de la FN de 1966 pour l’égalité salariale (mais qui concerne plus largement une demande de reconnaissance du travail féminin à sa juste valeur), et au cours des premières années de la décennie 1970, les ouvrières notent des améliorations dans les conditions de travail (les machines se modernisent, l’entreprise prend en charge le nettoyage des vêtements de travail, qui sont aussi plus adaptés). Ceci n’empêche pas le déclenchement d’une nouvelle grève en 1974, pointant particulièrement les conditions de travail encore difficiles (conditions de production, risques professionnels, cadences, etc.). Lucienne Franckson, Claudine Meisters et Christiane Lénaers, trois anciennes ouvrières de la FN s’expriment en 2015 :
« Le corps, les jambes, on en était remplies, remplies [d’huile] ! Ça s’est amélioré après [après 1970] hein ! Les machines étaient un peu plus récentes, on a bougé les courroies, alors c’était automatique […]. Après la grève [de 1966], on a quand même gagné… On a eu des autres sabots, et alors après ils ont lavé nos tabliers [ndlr : sur ce dernier point, on parle vraisemblablement plutôt de l’après 1974]. […] Parce qu’au départ c’était de gros sabots[…] et puis […] après […] ils nous ont donné des autres chaussures plus légères, et puis après on n’a jamais plus lavé ces tabliers, sauf les torchons que nous on mettait, c’était eux [la FN] qui avaient pris une entreprise qui nous lavaient nos tabliers, là c’était déjà bien […] »
Source : Témoignages de Rita Jeusette et de Jenny Magnée, extraits de Marie-Thérèse Coenen, La grève des femmes de la FN en 1966, Bruxelles, Politique et Histoire, 1991, p. 95-99, 144.