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On apprenait beaucoup sur le tas

Entrée à l’usine 14 ans, Marie a d’abord passé un an comme petite main auprès d’ouvrières expérimentées. Elle raconte l’arrivée sur les machines et l’apprentissage sur le tas à partir de 15 ans. Contrairement à beaucoup de ses collègues, elle cherchait avant tout à se préserver pour ne pas s’user au travail, notamment en lissant les différences de production journalières pour ne pas attirer l’attention de la hiérarchie, qui aurait pu revoir les prix de production et réduire encore les gains des ouvrières.


Texte interprété par un acteur.

« Après un an à l’usine, à 15 ans, il fallait aller sur les machines, mais moi ça me plaisait, parce que, de 59 centimes de l’heure, j’ai dû passer à 1 franc 50 sitôt que je suis passée sur la machine. Oui mais après, ça a stagné parce qu’il fallait faire une grosse production et moi je n’ai jamais été fana de taper comme une dingue pour… ah non non… à l’époque ils avaient besoin de colleteuses, on m’a dit ‘Oh bah on va te former colleteuse’. Bon, va pour colleteuse. C’est un petit machin qui passe dans un guide, je faisais des gilets d’hommes, des slips kangourou. On me montrait, des fois, je me souviens ‘Bah tiens, oh tu vas y arriver !’, c’était comme ça ! Un peu ‘démerde-toi !’. Franchement on apprenait beaucoup sur le tas.

On était payé en fonction de ce qu’on produisait, donc le nombre de pièces multiplié par le prix établi pour chaque pièce. On avait une fiche avec des tickets qu’on décollait pour mettre sur notre feuille de production, et j’en rêve encore des fois, de ça, le soir on collait ça et on le mettait dans un casier, et ben j’en rêve encore, vous vous rendez compte, parce que des fois je me disais ‘j’ai rien foutu, aujourd’hui, je suis dégoutée’, parce que pour moi j’avais travaillé, mais j’avais rien sur ma feuille, parce que j’avais eu des problèmes, ou de machine, ou… alors bon, c’est vrai qu’on avait une monitrice, on l’appelait, on lui disait ‘ça va pas la machine’, alors elle appelait le mécanicien, on avait des sacrés charlots, ils étaient mécaniciens comme moi, enfin bref, c’était des hommes, ils s’en fichaient un peu, moi j’étais mal, parfois, ça m’a traumatisé ce truc-là !

Si on avait bien tapé un jour, qu’on avait fait plus de pièces que d’habitude, des fois on ne mettait pas tous les tickets le jour même, on pouvait s’en garder un petit peu pour le lendemain, et comme ça le lendemain, on pouvait un peu souffler, mais je te dis, en dernier ils avaient tellement tiré sur les cadences qu’on n’y arrivait plus, on n’avait plus de marge »