FR | EN

Une fois sorti de la vallée, c’est un ciel

Après six ans de rencontres et d’entretiens réguliers avec trois travailleurs de 2001 à 2007, je leur ai demandé de décrire à la fois la vie au village et la vie du travail en dehors du village à l’aide de cinq mots ou expressions. Pour Wang qui témoigne ici, le village est associé au manque ou à l’absence d’opportunités d’emploi, alors que la ville évoque un horizon élargi de possibilités d’émancipations individuelles. S’y exprime également un rejet de l’environnement rural associé à la corruption. Le « Sud » est associé à la compétition et à la mobilité sociale, à ce que l’anthropologue Hoffmann appelle des « hiérarchies d’opportunités et de stagnation ». Les expériences migratoires renforcent la tendance à comparer des espaces – ceux de la ville et de la campagne en particulier, du travail en usine et du travail de la terre – plus ou moins valorisés. L’espace urbain est souvent associé dans les représentations dominantes à la modernité, à la consommation et à la possibilité d’ascension sociale, au contraire de l’espace rural souvent assimilé à la stagnation et à l’impossibilité d’émancipation individuelle. Ce genre d’opposition renforce des hiérarchies sociales culturellement construites par les médias, les réseaux sociaux, la sphère familiale ou professionnelle.


Texte interprété par un acteur.

Le terme dagong émerge à Hong Kong et se diffuse dans le Sud de la Chine dans seconde moitié des années 1980. À l’origine, il signifiait travailler à l’usine en étant soumis à une cadence de travail particulièrement soutenue et impliquait une perte de contrôle par les travailleurs de leur espace et de leur temps. Le terme a été également investi de significations multiples comprenant à la fois l’autonomie et la réalisation de soi par le travail mais aussi les idées d’indignité et de non-reconnaissance sociale. À fin des années 1990, dagong renvoie à toute forme de travail non permanent et recelant des degrés variables de précarité.

J’ai choisi la phrase « Une fois sorti de la vallée, c’est un ciel », parce que ma vie actuelle de dagong est mieux que ma vie au village. En plus, la vie de dagong dans ce Sud a plus de goût que celle de mon pays natal. Tout d’abord, mon pays natal est pauvre. Ensuite, ces cadres corrompus, je ne supporte pas ça. Ceux que j’appelle les « cadres chiens ». « Cadres chiens » est une insulte. Donc, je ne voulais plus continuer à vivre dans un tel environnement. C’est pourquoi je suis sorti des montagnes. Une fois sorti, grâce à mes efforts, j’ai pu trouver un travail dans le Sud, j’ai pu me nourrir et m’installer. Alors, je trouve que dans le Sud, il y a un monde vaste. Cet univers vaste… Quand on est dans la vallée et que l’on regarde le ciel, il est tout petit. Une fois sorti de la vallée, on s’aperçoit que le ciel est très grand ! Je peux alors me réaliser. Quand on dagong dans le Sud, c’est une compétition égale. Car tu ne me connais pas, je ne te connais pas non plus. Entre nous, si tu en as la capacité, tu y vas. Par exemple, tu entres dans une usine ou dans une société, tu te mets à travailler. Si tu es capable, tu montes. Donc je peux trouver un travail dans cet environnement et bien que le salaire ne soit pas élevé, ça va encore. Avant, j’ai eu des emplois avec des salaires plus hauts. Mais maintenant, mon salaire n’est pas élevé, mais je mène une vie stable. Mon revenu est stable aussi. D’une certaine manière, on peut dire que je suis satisfait de ce parcours. Il ne me manque qu’une chose : je n’ai pas de maison. (rires). C’est comme ça.