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Monsieur Zhang : d’apprenti tailleur à chef d’équipe

La trajectoire professionnelle de M. Zhang illustre les déplacements dans l’espace chinois au cours d’une vie ouvrière. Le récit de ses différents emplois évoque les conflits avec les patrons qui se soldent par le départ de l’usine ou de l’atelier. Cela explique le fort renouvellement des employés ; la façon la plus simple de résister à des conditions de travail et de vie difficiles consiste à changer de patron.

Zhang est né le 2 mai 1988 dans un village rural à proximité de Shangrao, dans la province du Jiangxi, au sud-est de la Chine. Sa mère décède quand il est très jeune. Son père est paysan. En 2001, à 13 ans, alors qu’il est en deuxième année, il quitte le collège sans achever sa scolarité. Il donne deux raisons à son départ : d’une part il n’aime pas l’école et n’est pas un bon élève, d’autre part sa famille est pauvre. Il travaille dans les champs avec son père.

A 15 ans, il entre en apprentissage chez un tailleur dans un village voisin. A son âge, les trois métiers manuels possibles qui s’offrent à lui sont soit ouvrier du bâtiment, soit menuisier, soit tailleur. S’il choisit la troisième option, c’est parce que c’est à la fois moins dur physiquement et moins salissant. Dans les métiers de la construction, on souffre de la chaleur l’été et du froid l’hiver. Dans la menuiserie, on est exposé à la poussière. Pendant ses deux années d’apprentissage, il ne touche aucun salaire. Comme c’est l’usage dans ce métier, son maître (shifu 师傅) le loge et le nourrit. Il reçoit seulement une petite somme d’argent lors du nouvel an chinois. C’est toute une génération de travailleurs de du prêt-à-porter, qui ont, comme lui, commencé comme apprentis chez un tailleur rural.

En 2004, à 16 ans, à sa sortie de son apprentissage, il travaille pour un autre patron chez qui il reste également 1 an. C’est le premier salaire dont il se souvienne : 250 yuans/mois. En 2005, il part travailler en usine (qu dagong去打工). Avec d’autres camarades de son village, il part pour Shishi 石狮, à proximité de la cité portuaire de Xiamen, dans la province voisine du Fujian, à 600 kilomètres au sud de son village natal. Le choix de cette destination tient à une communauté de migrants de son village déjà installés, tous employés dans le prêt-à-porter, point fort de l’économie locale. A la faveur de son installation, son salaire est multiplé par 4 ; il gagne désormais 1000 yuans par mois.

Il travaille alors successivement dans 4 entreprises différentes.

(1) Il débute dans une usine de confection de vêtements d’enfants. Le salaire est aux pièces. Ce qu’il gagne est donc proportionnel à son travail. Il travaille de 9 heures du matin à 22 heures le soir avec 2 heures de sieste en milieu de journée, lorsque la chaleur est insoutenable, 6 jours par semaine. Son temps de travail hebdomadaire est donc de 66 heures. Logement et nourriture sont fournis par l’employeur. A cause d’un conflit entre personnes, lui et plusieurs de ses camarades quittent l’usine.

(2) Puis il est employé dans un petit atelier de fabrication de jeans où il ne reste que 2 mois. Le niveau de salaire est le même mais les conditions de travail sont très mauvaises en termes d’hygiène et de sécurité.

(3) A la fin de l’année 2005, il arrive chez un troisième employeur. C’est un petit atelier familial d’une vingtaine de salariés qui fabrique des pantalons de détente. Il gagne toujours 1 000 yuans par mois. Il rentre dans son village à la faveur de la nouvelle année.

(4) En 2006. Il part pour Qingdao, dans le Shandong, à plus de 1000 kilomètres au nord de Shangrao. Il est employé dans un atelier familial ouvert par un voisin de son village. Il gagne 1200 yuans par mois. Il est logé et nourri par l’employeur. Il se souvient très bien de la date de son départ de cette entreprise, le 1er octobre 2006. En effet, à la suite du refus du patron d’augmenter son salaire à 1500 yuans par mois, il démissionne. Il est de retour à Shangrao.

(5) Quelques jours plus tard, il repart cette fois pour Jiaxing (Zhejiang), à 500 kilomètres au nord-est, à l’instigation d’un ami. Il travaille d’abord trois mois dans une grande entreprise de 150 salariés. Il perçoit un salaire de 1600 yuans. En fin d’année, un conflit éclate car l’entreprise retient les salaires dus et promet un versement au retour des vacances du nouvel an chinois, pratique courante pour obliger les salariés à revenir après les congés de fin d’année. Avec une quinzaine de camarades, ils font grève pendant une semaine, se rendant à l’usine sans travailler. Au terme d’une semaine, le patron cède et les salaires sont versés. Mais, début 2007, à leur retour de vacances, le nouveau salaire qui leur est proposé est bien plus faible, 1 000 yuans. Ils démissionnent en bloc.

(6) En mars 2007, il entre dans l’entreprise qui l’emploie actuellement à Jiaxing. Il est recruté avec un salaire de 1600 yuans /mois comme simple opérateur de machine à coudre sur une ligne de production. En 2013, il devient chef d’équipe et il organise le travail de 15 personnes sur une ligne de production. Son salaire en 2017 est désormais de 4350 yuans par mois.

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© Gilles Guiheux
Évolution du salaire de M. Zhang entre 2001 et 2017
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© Google Maps
Carte qui permet de prendre la mesure des distances parcourues