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Une chanson d’amour. La chanson du travailleur

Ce texte a été rédigé par un jeune travailleur migrant d’origine rurale et envoyé à la rédaction de « Wailaigong » (外来工 Travailleur d’ailleurs), un magazine dédié aux travailleurs migrants et dont le lectorat était composé quasi exclusivement de travailleurs (ce magazine a cessé de paraître en 2006). Ces publications ont commencé à fleurir dans le Delta de la Rivière des Perles (province du Guangdong) à partir de 1993. Dans ce texte qui est une sorte de complainte, l’auteur évoque des efforts non récompensés et l’absence de reconnaissance sociale. Il exprime également une demande de dignité minimale qui peut aussi être lue comme une réaction face à un discours triomphaliste ventant les réalisations spectaculaires et la croissance économique de Shenzhen, première zone économique spéciale à partir de 1979. Ces formes populaires d’expression littéraire sont annonciatrices du genre de la poésie des travailleurs migrants qui va se développer à partir des années 2000 avec des autrices/eurs comme Zheng Xiaoqiong 郑小琼 ou encore Xu Lizhi 许立志. Ce dernier, ouvrier au sein de l’entreprise Foxconn, a rédigé un ultime poème intitulé « Mon arrivée s’est bien déroulée, je partirai de même », avant de se suicider le 30 septembre 2014.


Moi, celui qui est arrivé ici sans argent. Je ne pouvais que regarder avec de grands yeux les autres qui se laissaient aller. Dans le monde, des gens riches il y en a partout. Pourquoi ne peut-on pas me compter parmi eux ?

On court en tous sens pour gagner de l’argent. Cela fait longtemps qu’on a suffisamment goûté à l’amertume du dagong.  Parmi ceux qui dagong, ceux qui échouent, il y en a partout et je suis seulement l’un d’eux.

Les revenus sont de plus en plus bas, on fait de plus en plus d’heures supplémentaires. Chaque travailleur doit le savoir : pour l’argent, n’aie pas peur de payer.

Trouver un travail léger, idéal, bien payé qui fait que je puisse me permettre de me séparer de la pauvreté. Un travail avec des droits, un travail ayant un nom et avantageux qui fasse que je puisse avoir un meilleur statut. Les travailleurs sont tellement nombreux, mais il y en a très peu qui sont heureux. Ils ne connaissent que la souffrance. Ils ont offert et ont payé de leurs plus belles années de jeunesse, mais les fruits sont peu nombreux.

Pour l’argent, ils errent partout, cela fait longtemps qu’ils ont goûté suffisamment à l’amertume du dagong. Parmi les travailleurs, on trouve partout des désespérés, alors qu’on n’en trouve même pas quelques-uns qui réalisent leurs idéaux.

Le fardeau est de plus en plus lourd, le prix que l’on paye est de plus en plus élevé. Chaque travailleur doit le savoir : le « dagong » signifie ne pas avoir peur de souffrir. Trouver un travail léger, idéal, bien payé qui me permette de me séparer de la pauvreté. Un travail avec des droits, avec un statut, un travail ayant un nom et avantageux qui me permette d’élever mon statut.

Les travailleurs sont si nombreux, ceux qui sont riches, on en trouve même pas quelques-uns, alors que ceux qui ont offert et payé dans la souffrance de leurs meilleures années de jeunesse sont si nombreux. Ah…

Trouver un travail léger, idéal, bien payé qui me permette de me séparer de la pauvreté. Un travail avec des droits, avec un statut, un travail qui ait un nom et avantageux et qui fasse que je puisse élever mon statut. Les gens tristes sont si nombreux. Je dois traverser cela (vivre cela) avec courage. Il ne faut pas rater [les opportunités], avoir payé, avoir perdu ses plus belles années de printemps et soupirer. Cette mélodie triste du travailleur, cette chanson sincère, de souffrance et de tristesse, qui va la chanter avec moi ? Ah… (…)

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Lettre non publiée d’un jeune travailleur envoyée au magazine pour travailleurs migrants Wailaigong, juillet 2003.