Le projet scientifique
Ce dispositif numérique est le produit du programme collectif de recherche Eurasemploi, financé par l’Agence Nationale de la Recherche de 2016 à 2023. Ce projet analyse les mutations de l’emploi et les formes d’incertitude au travail en période de croissance économique rapide. Il adopte une approche comparative à la fois dans l’espace et dans le temps. Les Trente Glorieuses françaises et la Haute Croissance japonaise, des années 1950 à 1970, sont comparées à la Chine des quatre dernières décennies où la création de richesses s’est accélérée à un degré rarement vu dans l’histoire. Dans les trois configurations considérées, la condition ouvrière a été transformée. Elle est ici doublement mise en perspective, par le recul historique et par l’examen de l’envers que constituent les formes de précarité en contexte de prospérité. Cette méthode vise à mettre en lumière les technologies de gouvernement du social qui ont accompagné et, dans une large mesure, rendu possible les régimes de croissance économique soutenue. Conduite à la fois dans le temps et l’espace, la comparaison est audacieuse. Entre nos trois terrains, les contextes sociaux, institutionnels, politiques, culturels sont divers. Pourtant, au-delà de ces différences, le pari est que la comparaison permet de dégager des régularités.
Sur les divers terrains, notre attention s’est portée sur deux secteurs industriels : les mines de charbon et le textile. Les premières sont indispensables à la reconstruction des économies de l’après-guerre et au cœur de la construction nationale chinoise. Elles sont aussi le lieu d’une dialectique entre risques intenses encourus par les salariés et régulation quasi-militaire de la main d’œuvre. La rentabilité et la survie de cette industrie sont mises en cause dès les années 1950. Le second secteur est la production textile, et en particulier la confection, à la fois doyenne des industries et la première à avoir eu à affronter la compétition mondialisée.
L’enquête s’est faite à la fois dans des archives (voir Crédits) et par entretiens lorsqu’il était possible de rencontrer des ouvriers retraités en France (et en Belgique) et au Japon, ou en activité en Chine. Au cours de cette dernière, plus d’une centaine de documents ont été collectés. Ils sont de natures variables : données chiffrées sur les revenus ou la consommation, témoignages de l’emploi (contrats de travail, feuilles de paie, certificats de retraite), des souffrances au travail (accidents, surveillance) ou des difficultés de la vie (pauvreté) et aussi des luttes individuelles et collectives pour transformer la condition ouvrière. Certains de ses documents ont été produits par les employeurs, d’autres par les syndicats, des journalistes ou des experts qui conduisent des enquêtes, d’autres encore par les ouvriers eux-mêmes (textes biographiques, poèmes, chansons). Ces documents sont des textes, des tableaux chiffrés, des images, des enregistrements sonores ou visuels. C’est la richesse et la variété de ces documents que ce dispositif donne à voir. Pour incarner les trajectoires individuelles, nous avons fait appel à des comédiens professionnels (voir Crédits) pour interpréter certains témoignages. Le dispositif entend rendre visible les invisibles.
Le programme a été dirigé par Bernard Thomann et associait des historiens et des sociologues membres de plusieurs institutions universitaires en France et en Belgique (voir Equipe). La réalisation du dispositif virtuel a été pilotée par Eric Florence et Gilles Guiheux, associée à Edouard Sombié, concepteur Web et Jérôme Foubert, designeur. Outre ce dispositif, le programme Eurasemploi a donné à lieu à la publication d’un ouvrage et d’articles scientifiques (voir Bibliographie), et la création d’une pièce de théatre Petites mains par la compagnie Si et Seulement Si.